Ouattara Watts, conteur mystique

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À l’occasion de sa seconde exposition à la galerie Boulakia, vingt-deux ans après la première, H A P P E N I N G a rencontré l’artiste Ouattara Watts. Né en Côte d’Ivoire en 1957, passé par l’Ecole des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de Jacques Yankel, puis installé à New York depuis 1988 sur les conseils de son ami Jean-Michel Basquiat, Ouattara Watts nous raconte son parcours.

Vous êtes à Paris à la fin des années 80 : comment vivez-vous avant de rencontrer Basquiat en janvier 1988 ? HAPPENING

C’est lui qui me découvre mais avant cela, des critiques importants soutenaient déjà mon travail : Henri-François Debailleux, Nicolas Bourriaud, Gérard Barrière qui est décédé, Gaya Goldcymer qui travaillait pour Art Press et qui avait organisé ma première exposition de groupe à cette époque-là. J’ai eu aussi le soutien d’Olivia Putman qui était mon agent, d’Andrée Putman qui m’a acheté des tableaux, de Claude Picasso... Je n’avais pas de galeries mais ces gens-là soutenaient mon travail. Après les Beaux-Arts, j’ai été un observateur de ce qu’il se passait. Les années 80 étaient déjà enclenchées et je ne voulais pas faire partie de ce cycle. J’ai préféré travailler et montrer mon travail en privé plutôt qu’en galerie. C’était très dur, beaucoup de galères, mais heureusement qu’il y avait des gens qui croyaient en moi :  Claude Picasso et surtout un Russe, je ne sais pas d’où il sortait mais il m’achetait pas mal de tableaux. Cela m’a permis de survivre.

 

Comment s’est faite la rencontre avec Basquiat ?

Jean-Michel exposait chez Yvon Lambert et je suis allé à son opening. Il m’a tout de suite mis la main dessus, m’a demandé ce que je faisais. Pour moi, la rencontre s’arrêtait là, je continue mon chemin, je regarde l’exposition. Dix minutes plus tard, il m’attrape encore et me dit : « Je veux voir ce que tu fais » et lui répond :  « Jean, tu ne peux pas quitter ton opening ». Il insiste, donc on est parti au studio avec deux amis et il a flashé sur le travail tout de suite, il m’a acheté une toile. Je suis devenu comme un moteur pour lui. Lui, né en Amérique, moi, en Afrique ; Jean a toujours cherché l’Afrique dans son travail. C’est une rencontre, il avait besoin de quelqu’un comme moi et moi, de quelqu’un comme lui. J’étais plus âgé que lui, mais je n’étais pas encore stable et il a insisté pour que je parte à New York. Dès que je suis arrivé, il a appelé un critique qui était très important à l’époque, René Licat, qui est venu voir mon travail avec Keith Haring. Le surlendemain, Jean me dit qu’il a une surprise pour moi et il m’emmène à la Nouvelle-Orléans. Pourquoi la Nouvelle-Orléans ? Évidemment, la connexion avec l’Afrique, le Mississipi, le musée vaudou, le French quarter….

 

 

New York à cette époque en 1988, c’était la grande période, le centre artistique mondial. Vous, venant de Paris, quelles sont vos impressions ?

Je suis arrivé en 1988 pour l’expo de Jean-Michel à New York, son marchand de l’époque me dit alors qu’il va m’exposer. Entre-temps, Jean-Michel meurt, alors je me retrouve sur le carreau. La confiance du marchand vis-à-vis de mon travail m’a quand même stimulé. Beaucoup de mémorial car beaucoup de gens meurent, le sida, la drogue… J’arrivais à une période où c’était fini. Quelque temps après, ce marchand meurt aussi, je suis encore sur le carreau, mais finalement je continue de travailler et finis par me faire remarquer par des curateurs de musées qui ont révélé mon travail.

 

Sur vos supports, vous incorporez beaucoup d’éléments extérieurs, du sable, du bois, on retrouve toute une symbolique mystique. Votre diptyque The Woman of Magic Power, avec la croix ansée, le motif amazigh de l’homme libre sur un autre...

C’est vrai, mais parce que je suis né dedans. J’aime Rothko, Fontana. J’aime l’espace qu’on retrouve dans les toiles de Pollock, le Grand Canyon... cela m’a apporté encore plus de mysticisme dans mon travail.

 

La confrontration avec l’œuvre de Pollock qui était influencé par la peinture des indiens.

Absolument, et puis aussi un clin d’œil à Beuys.  J’adore les grands formats, I’m swimming inside ! C’est peut-être mon influence africaine, parce que je suis originaire du nord de la Côte d’Ivoire, donc c’est la savane. J’ai retrouvé ça aux USA et la notion d’espace qui influence l’architecture africaine.

 

Derrière l’image, il y a toute une symbolique.

Oui, il y a un code que j’utilise beaucoup dans mon travail, les chiffres, les numbers, l’alchimie. La spontanéité amène à la création, la création amène à la recherche. On tombe dans le scientifique. La science et l’art sont complémentaires. Comme Keith et Jean-Michel, qui ont été des comètes, le côté spirituel me maintient, une façon d’être et de vivre. La relation de l’homme, de l’artiste avec le cosmos. Jean-Michel avait exposé en Côte d’Ivoire en 1986 (NDLR : à Abidjan, au Centre Culturel Français) et c’était la région de mes parents, je pense qu’il a vu ce côté spirituel chez moi.

 

 

Vous n’avez jamais été tenté par la sculpture ?

Non, c’est très bizarre parce que la sculpture est un challenge. Mais je pense que ça viendra.

 

Comment abordez-vous le support, l’acte créateur ?

Pour moi, la peinture doit guérir. La peinture est faite pour comprendre le monde. Il y a souvent des codes, des moments très forts dans ma vie, de mon entourage, une influence de tous les jours. Des codes transcriptibles en lettres. Mes titres viennent aussi de la musique, de Santana, Black Magic Woman. Je travaille beaucoup avec la musique, le blues, le jazz, Ornette Coleman qui est un ami à moi, Keziah Jones que j’adore… Les bouquins aussi…

 

Comme un art total ?

Absolument.

 

Image credits: Galerie Boulakia
Ouattara Watts, The Woman of Magic Power
Ouattara Watts, Opus n°1, Magic Man, (1996)