Oreillers et panique | Une attaque artistique à la Biennale d'Istanbul

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Il y a quelques semaines le duo Panickattack Duo — réunissant les artistes Naz Balkaya et Emilia Demetrious — participait à la Biennale d'Istanbul, en présentant la performance Jiwar, réagissant au thème de l'événement organisé sous le commissariat de Elmgreen & Dragset.

Anne Murray a rencontré le duo.

 

Dans la vidéo présentée à la Biennale d'Istanbul, l'expérience est vraiment singulière. Pouvez-vous expliquer quel est votre objectif avec ces clips chevauchant la scène globale ? Quel rôle joue le son dans cette vidéo ?

D'une certaine manière, Jiwar est une plongée dans la vie domestique d'un individu. Les luttes auxquelles chacun est confronté, les frictions propres aux relations, la répétition de ces tensions, la façon dont chacun contourne cela.

Les différentes trames reflètent les différentes perspectives à partir desquelles l'on peut interpréter une situation donnée : quand la caméra est proche, vous pouvez clairement entendre le son, mais quand vous voyez le cadre entier de loin, vous ne pouvez qu'entendre le son de la rue, le lien avec le monde extérieur est flou. Est-ce que votre voisin connaît vos luttes ? Connaissez-vous les luttes de votre voisin ? Jiwar évoque le thème de la vie privée, la manière dont cette vie privée est envahie. Le fait que nous présentions la vidéo via des téléviseurs installés dans un environnement domestique ouvre la porte à d'autres thèmes, la confidentialité etc...

 

Que diriez-vous de l'immédiateté de la performance live, comparée à la présentation de la vidéo de cette œuvre ?

La performance est personnelle, elle n'a pas été planifiée ou structurée, elle portait sur notre propre domesticité, notre relation, la friction et l'harmonie entre nous et les façons que nous avons de les contourner. La vidéo / installation, permet de représenter notre performance à une plus grande échelle.

 

 

© Anne Murray

 

 

Concernant le rythme dans votre travail : comment fonctionne le timing pour vos performances : est-ce prédéfini ou spontané ? Quelle importance donnez-vous au mouvement dans votre œuvre ?

Chaque performance diffère en termes de rythme, selon qu'elle soit chorégraphiée ou préréglée et que nous utilisions du son ou pas. Si la performance est spontanée, le rythme se nourrit de nos actions et inversement. Les actions que nous avons choisies sont soit une référence, soit une représentation de la façon dont nous représentons notre monde et notre société, et d'autres fois nos actions peuvent être sans but et insignifiantes à dessein.

 

Dans les œuvres précédentes, j'ai vu que l'un de vous dirigeait l'autre en utilisant le mégaphone comme dans une manifestation ou une danse chorégraphiée, est-ce une référence à quelque chose de spécifique, l'armée ?

Oui, ces performances pourraient se référer à l'armée, mais aussi à d'autres relations de pouvoir. Nous représentons les minorités, mais les autorités aussi, nous représentons le conscient et l'inconscient, l'artiste et le monde de l'art, une personne confrontée au patriarcat.

 

J'ai remarqué que certains objets reviennent dans vos œuvres, parmi lesquels le mégaphone. Pourquoi-est-il cette fois-ci absent ?

Le mégaphone représente et incarne des relations de pouvoir. Parfois il peut être un symbole bruyant des forces souveraines et de la révolution, qui renforce les voix féminines au sein des communautés artistiques et des familles. Nous pouvons dire que le mégaphone représente en quelque sorte l'urgence de ce que nous défendons. Jiwar représente des barrières personnelles dans des territoires intimes, nous voulions donc utiliser le son naturel de notre rythme, de nos actions corporelles et de notre environnement.

 

 

© Anne Murray

 

 

Quelle est la fonction des objets extérieurs dans votre performance ?

Les objets sont notre principale agency dans la prise de décision de nos actions. Chaque objet a une signification différente selon le contexte de la performance. Par exemple, les oreillers de Jiwar Artist Residency ont été utilisés pour créer un bruit fort qui pourrait interagir avec le quartier.

Le son des oreillers reflète les voix silencieuses cachées derrière les murs.

 

Qu'est ce qui vous influence ?

L'expérience de la migration et de l'échange d'idées, ainsi que nos idées féministes et sociales, ont été les éléments qui ont marqué le début de notre collaboration. Nos nations, religions et sociétés diraient que nous sommes destinés à être des ennemis. Nos idées, croyances, habitudes et opinions expriment le contraire ; par conséquent, nous embrassons le concept de notre séparation à travers nos efforts de collaboration. La collaboration est notre plus grand trésor.

Les questions profondes que nous posons à propos des problèmes sociaux, éthiques et politiques qui se posent actuellement à l'Ouest et à l'Est nous éloignent de ce qui nous a été donné au sein des structures patriarcales.

 

 

© Anne Murray