Exode : Une lueur d’espoir pour l’avenir des biennales

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Interview par l’artiste et participante à la biennale Anne Murray, Master de Beaux-Arts et Master de Sciences en Théorie, Histoire et Critique d’art et architecture, Pratt Institute, Brooklyn, New York, USA, avec les curateurs et co-fondateurs de la Biennale Méditerranéenne d’art contemporain d’Oran, Algérie, Sadek Rahim et président de la galerie Civ Oeil, Tewfik Ali Chaouche.

La coexistence actuelle de biennales classiques et d'événements moins conventionnels nous amène à réfléchir à l’intérêt et à l'utilité même de ces événements,  et à nous demander quel est le futur de ces manifestations, de celui de l'art, de ses différents mouvements et à l'impact de la mondialisation.

Récemment, des approches avant-gardistes comme celle du Museum of Non-Visible Art Biennial (MONA Biennial), la future Wrong Biennial qui combine pavillons numériques et expositions physiques à travers le monde, ou encore la Worldwide Apartment and Studio Biennial, ont bousculé le paysage, créant un contexte différent, questionnant même l'utilité d'une biennale aujourd'hui.

Alors, que se passe t-il quand quelqu’un décide de créer une biennale qui défie les conventions, en refusant de suivre le mouvement des évènements à l'approche politiquement ambiguë — ne résidant que dans le nom de la biennale — et se confronte directement aux problèmes posés à travers le monde par l'exode ? Eh bien, la réponse est la Biennale méditerranéenne d'art contemporain d'Oran, en Algérie dont la 4e édition se tenait cette année.

 

Photo credit Anne Murray, Curators Sadek Rahim (on the left), Tewfik Ali Chaouche, and journalist Stéphanie Pioda

 

 

Sadek, quel a été votre rôle en tant que curateur de cette biennale ? Je comprends que vous travailliez avec plusieurs jeunes artistes, en les aidant à développer leurs idées, que pouvez-vous partager avec nous de cette expérience ? Dans le Pavillon de la Diaspora à la Biennale de Venise, des artistes établis ont été mis en relation avec des artistes émergents, pour les aider à développer leur travail, leur carrière. Pensez-vous que cette association sera la nouvelle tendance dans les expositions biennales ? Comment analysez-vous cette association d'artistes dans le Pavillon de la Diaspora ? Vous-même, en tant qu’artiste établi, vous comportiez-vous envers ces jeunes artistes en tant que curateur ou en tant que mentor ?  

Rahim: Ce que David A. Bailey et Jessica Taylor ont fait, en tant que curateurs du Pavillon de la Diaspora à Venise et ce qui était très intéressant, est de créer un pavillon structuré en tant que projet. Ils ont eu la brillante idée de faire un appel à candidatures, pour les artistes Britanniques émergents de milieux différents en 2016. Ces jeunes artistes n’ont pas dû seulement travailler sur des projets pour la biennale, mais aussi sur un programme de mentorat et de soutien de deux ans par groupe d’artistes établis. Ce que nous avons voulu faire avec la

Biennale Méditerranéenne d'Art Contemporain d'Oran, est un peu similaire, sauf en ce qui concerne l’Algérie, il y a un sentiment d’urgence parce que nous sommes très en retard à ce niveau là.

Le travail curatorial avec trois jeunes artistes a été une expérience formidable pour moi en tant qu’artiste et en tant que partisan d'un vrai changement dans les programmes culturels et académiques de notre pays. Ces trois jeunes artistes, Islem Haouati, Nora Zaïr et Djamel Benchenine ont été un super exemple de ce que nous pouvons faire pour aider les jeunes artistes à prendre leur envol. A l'issue de ce programme, Djamel Benchenine a proposé une installation de 6-7 mètres, intitulée Camps, un modèle de camp de réfugiés sahraouis (Dakhla) dans la ville de Tindouf en Algérie. Il a réalisé des tentes de ce camp en bois, blanches à l’origine, mais Djamel les a peintes en noir, une couleur qui reflète la tragédie des vies de ces peuples. En 2016, Djamel a été invité au Festival International du Film du Sahara Occidental (Fisahara) qui se tenait entres autres dans ce camp, mais aussi simultanément à Madrid, permettant à un grand nombre de personnalités du monde du cinéma et de la culture espagnols, ainsi qu'au public espagnol d'être familiarisé à la cause sahraouie et de se renseigner sur la situation des réfugiés sahraouis.

Nora Zaïr, photographe, a travaillé sur le poète Rumi. Rumi était l’un des premiers à élaborer le « tournant soufi » ou la danse derviche, les efforts physiques du mouvement, en particulier la danse et le tourbillon, de façon à parvenir à un état considéré par les étrangers comme l’une des « entraves extatiques », un moyen de voyager « au-dessus » pour être plus proche du paradis.

Son installation, une photographie monumentale est collée sur l’un des panneaux de l’escalator du musée. Nora a photographié un enfant près d’un graffiti sur un mur qui dit « vers un monde réinventé ».

Mon travail avec le photographe Islem Haouati portait principalement sur les techniques contemporaines et la façon de représenter la photographie d’une façon contemporaine. Islem a choisi d’imprimer sur toile une photographie intitulée Freedom prise dans les camps du Sahara Occidental, installée sur l’un des murs du musée. La photo a été prise lorsqu'il a travaillé avec l’organisation espagnole des droits de l’homme, ARTifariti, à l’intérieur d’un camp au Sahara Occidental en 2016. Et finalement oui, je pense que cette combinaison devrait être une tendance dans les biennales et spécialement celles du monde arabe et plus précisément de la région MENASA (Middle East North Africa South Asia).

 

Photo credit Sadek Rahim, Camps, an installation by Djamel Benchenine

 

Tewfik, qu’apportez-vous d’unique à la biennale, en tant que curateur et/ou artiste ?

Tewfilk: En tant que curateur et fondateur de cette biennale, je fais tout ce que je peux pour aider à l’organisation, l’administration et la réalisation de différentes expositions. Il y a plusieurs objectifs pour cette biennale, créer une plateforme d’art contemporain pour échanger entre artistes de la région méditerranéenne, mais aussi créer un marché de l’art algérien en lien avec le marché de l’art international, faire que le travail des artistes contemporains Algériens soit reconnu internationalement, mettre en lumière des thèmes qui nous réunissent tous, et aussi participer au développement de l’art contemporain dans la région méditerranéenne avec des conférences et des tables rondes, mais aussi réaliser des catalogues et des brochures.
 

La possibilité d'avoir ce lieu et d'être soutenu par diverses organisations est-elle sont au centre de la réussite de cet événement ?

Ali Chaouche: Sans aucun doute, le lieu de l’exposition et le support d’institutions étatiques joue un rôle crucial dans la continuité de cet événement. Auparavant, nous n’avions pas de support financier de la part du Ministère de la Culture et pourtant grâce à divers sponsors et partenaires, nous avons été capables de monter cette biennale (au rez-de-chaussée de la Médiathèque, l’ancienne Cathédrale d’Oran qui est actuellement vide). Maintenant avec le nouveau Musée d’art moderne et contemporain, le directeur est en faveur d’un partenariat et donc le financement pour la prochaine édition est ouvert aux possibilités et nous sommes donc assez optimistes pour l’avenir.  

 

Certains artistes ont-ils interprété le thème de l'Exode de manière inattendue ?

Ali Chaouche : Oui, les interprétations du thème ont été très variées — c’est ce qui fait l’art contemporain si riche, l’art vidéo était plus présent dans cette biennale, ce qui était novateur pour le MAMO (Musée d’art Moderne et Contemporain d’Oran) qui a été inauguré en mars 2017 et qui n’avait pas toujours tous les pré-requis techniques pour la vidéo projection.

Une interprétation spécifique qui a retenu notre attention en termes de participation technique et artistique, est sans aucun doute, votre vidéo performance, Exquisite Exodus. En tant qu’artiste américaine et citoyenne du monde, votre travail a été rapidement remarqué. L'installation photographique donne une dimension plus psychologique à la vidéo accompagnée d’un texte.

 

Photo credit Anne Murray, Exquisite Exodus by Anne Murray, watch the video here: (pictured above is fellow artist participant, Sihem Salhi, watching the video) 

 

Quel est le regard des artistes locaux sur la Biennale de Venise ? Est-ce un objectif d'y participer ?

Ali Chaouche : La Biennale de Venise reste le principal cadre de référence pour l’excellence pour tous les artistes dans la région méditerranéenne et certainement pour les artistes Algériens dans leur quête de reconnaissance internationale, sachant très bien qu’après avoir exposé leur travail dans la « plus vieille biennale du monde », leur renommée augmentera fortement. Les artistes qui ont bénéficié de cette opportunité sont les franco-algériens, qui ont l’opportunité d’exposer dans d’autres pavillons nationaux, qui ne sont pas labellisés comme Algériens, grâce à l’aide de leur galerie, par exemple Kader Attia et Adel Abdessemed.

 

Sadek, en tant qu’artiste algérien bénéficiant d'une reconnaissance internationale croissante, notamment depuis votre participation à Art Dubai, quels sont vos objectifs, vos rêves — passent-ils d'une manière ou d'une autre par la Biennale de Venise ?

Rahim : Même si les chances sont minces, avec la directrice de ma galerie à Alger, Amal Rougab et le président de la Biennale d’Oran, Tewfik Ali Chaouche, nous avons monté un projet et espérons que le Ministère de la Culture apportera enfin une contribution pour essayer d’avoir un espace lors de la prochaine édition de la Biennale de Venise. Nous sommes très motivés car depuis longtemps des artistes d’origine algérienne participent à la Biennale de Venise sous des drapeaux autres que celui algérien…. Kader Attia, Zineb Sedira, Samta Benyahia…

 

Le développement des pavillons nationaux est au cœur de l'histoire de la Biennale de Venise — comment est ce que cela est perçu par l'Algérie et les artistes algériens ?  

Rahim: En Algérie, depuis l'indépendance en 1962, protectionnisme, populisme et par dessus tout, le nationalisme sont la règle. Je me demande comment l’Etat algérien a résisté à cette opportunité qu’est la Biennale de Venise pour montrer son pouvoir et sa grandeur comme cela est fréquent lors des parades militaires et autres occasions nationalistes.

 

Quels sont les principaux problèmes auxquels la scène contemporaine algérienne est confrontée ?

Rahim : Beaucoup d’artistes quittent l’Algérie parce qu’il manque des galeries, des musées, des foires et au-delà de tout ça, le marché de l’art y est plus que balbutiant. La plupart de ces artistes quittent le pays pour l’Europe ou les États-Unis, comme Yazid Oulab, Massinissa Selmani ou Adel Abdessemed. Les artistes qui sont toujours dans le pays parient sur des événements internationaux pour montrer leur travail, pour gagner leur vie et surtout pour prouver à tout le monde qu’il y a une vraie production dans le pays.

 

Photo credit Nora Zaïr, a photograph called, Up, by Nora Zaïr

 

Qu’est ce qui rend la Biennale d’Oran singulière ?

Ali Chaouche : C’est le peuple et la ville qui sont ouverts aux cultures méditerranéennes et au monde. Les gens sont ouverts et curieux envers l’art contemporain. Sur le plan économique, Oran est la deuxième plus grande ville d’Algérie après la capitale, avec son port pétrolier d’Arzew et sa zone industrielle. La ville est en pleine expansion depuis 2010, et elle est consciente qu'il y a encore plein de choses à faire (de nouvelles routes, etc…). Il y a un vrai intérêt pour les nouveaux espaces d'art contemporain tels le musée d’art Moderne et Contemporain d’Oran, où la biennale s’est tenue cette année, et pour le développement d'un écosystème pour les amateurs d'art et collectionneurs. Par exemple, l'homme d’affaires Dillali Merhi qui possède une collection de Dinet, en a fait don d’une partie au Royal Hotel d’Oran, un espace d’art où de nombreux amateurs d’art qui sont des investisseurs  à Oran dans le domaine de l’art et de la culture peuvent se rencontrer. C’est une ville qui se développe jour après jour, avec une population de jeunes très axée sur de nouveaux médias d’expression contemporaine (photo, vidéo, installation).
 

Qu'est ce qui vous a poussé à créer une manifestation de ce type en Algérie ?

Nous avons décidé de créer cette biennale en 2010, motivés par les nombreux partenaires qui nous ont promis leur aide. Notre financement est neutre, non politique, et gardons notre liberté dans nos choix et idées avec le respect des principes fondateurs de la République Démocratique et Populaire d’Algérie. Notre Biennale a été fondée par une association culturelle et artistique indépendante de toute tutelle. En fin de compte, ce qui nous amène à réaliser l’ampleur de l’impact et de l’importance de cette biennale, c’est le succès des éditions précédentes, qui nous donne envie de partager et échanger avec d’autres pays et des artistes de la Méditerranée et du monde, pour diffuser un message de paix pour un monde meilleur.

 

Comment envisagez-vous les prochaines biennales ?

Ali Chaouche: Tout dépend des finances... Si notre association avait eu un support financier de la part du Ministère de la Culture pour cet évènement, cela aurait été différent. Nous aurions un appel à candidature pour trouver une agence d'événementiel, qui pourrait travailler à la programmation un an à l’avance.

Nous choisirions 3 curateurs professionnels indépendants, chacun proposant un thème différent : 1 curateur pour la diaspora algérienne à l’étranger, 1 curateur pour choisir les artistes locaux, 1 curateur pour choisir les artistes étrangers. La biennale s’étendrait à d’autres espaces autour de la ville d’Oran et nous créerions un catalogue avant l’ouverture de l’exposition et d’autres brochures pour les partager dans la ville et attirer les touristes. Il pourrait aussi y avoir des visites guidées pour les étudiants et universitaires avec des médiateurs pour l’art contemporain.

 

4th Mediterranean Biennial of Contemporary Art of Oran, Algeria

2 - 31 juillet 2017

Museum of Modern and Contemporary Art of Oran