Eser Gündüz – The World against the World

Article
Eser Gündüz (Antalya, 1990) est un artiste pluridisciplinaire qui s’est formé initialement à l’architecture au sein de l’université des beaux-arts Mimar-Sinan d’Istanbul.

Partisan, comme les fondateurs de l’école pionnière que fut le Bauhaus en Allemagne entre les deux-guerres, de l’abolition des distinctions entre les beaux-arts et les arts appliqués, l’artiste s’est par la suite détourné de la rigueur de l’architecture pour s’ouvrir aux recherches plastiques, au dessin et à la peinture, convaincu, avoue-t-il, qu’il y trouverait la liberté et le bonheur qui lui faisaient défaut. La première exposition personnelle de l’artiste à la galerie La La Lande fin 2021 avait pour titre « Heterotopia & Anachronia », évoquant les hétérotopies, terminologie empruntée à Foucault pour désigner ces lieux autres, ces « utopies localisées » dans un ailleurs extérieur aux sociétés et à ses normes. N’est-ce pas le rôle d’un artiste que de proposer au regardeur des hétérotopies qu’elles soient utopiques ou dystopiques ? Pour l’écrivain Michel Butor, notre regard n’est pas pure vision lorsque nous regardons un tableau car elle convoque tout un univers conscient et inconscient. Un discours antérieur, notre état d’esprit accompagnent l’œuvre que nous regardons. Ainsi, notre expérience sensible devant l’œuvre apparaît en partie faussée par tout ce qui la précède. Il en va de même pour le travail d’Eser Gündüz qui fait appel à des pratiques multi-médium (peinture, dessin, intelligence artificielle, NFT, modélisme 3D…) pour proposer à ses spectateurs-regardeurs plusieurs approches de ses œuvres. La pluridisciplinarité de son travail lui permet, dit-il, d’offrir de nombreux points de vue et une subjectivité à tout un chacun.

 

 

 

L'exposition d’Eser Gündüz proposée en cette fin d'année à la galerie La La Lande s’intitule « The World against the World ». Titre à connotation géopolitique, l’artiste se défend pourtant de vouloir faire de la politique. D’ailleurs un ordinateur Macintosh diffuse l’annonce suivante : « Attention. Cette exposition n’est pas une exposition politique. Merci de votre compréhension ».

 

Notre époque contemporaine connaît aujourd’hui de multiples sujets de tensions, est en proie à de violents affrontements, de la guerre en Ukraine à la flambée des nationalismes partout dans le monde. Militia, œuvre phare et magistrale de l’exposition donne à voir deux militaires se serrant la main. S’agit-il d’un armistice ou d’une paix blanche ? Les deux hommes appartiennent à l’armée mais leur uniforme qui renvoie à des époques différentes semble signifier que le passé hante beaucoup plus qu’on ne le croit le présent dans une concaténation toujours plus frénétique. La maxime manuscrite sur la toile Forward the Revolution semble être une mise en garde. Les peuples vivent et meurent mais les guerres sont toujours les mêmes, initiées pour les mêmes revendications territoriales, nationalistes, économiques… Le temps cyclique de l’Histoire comme celui de l’humanité est un éternel recommencement après son extinction. Les États modernes tout évolués soient-ils n’apprennent rien de leurs erreurs et des pertes humaines. L’Histoire semble condamnée à se répéter car « l’homme est un loup pour l’homme » selon la théorie de Hobbes pour qui l’être humain ne pouvait que s’en remettre à une toute-puissance tutélaire en qui il délègue ses droits et qui lui adjuge ses devoirs. Les États d’aujourd’hui se sont substitués à ce Léviathan hobbesien.

 

 

Le va-et-vient que fait Eser Gündüz dans ses recherches entre passé et présent, forme et écriture, peinture dans la tradition de l’histoire de l’art et œuvre créée par intelligence artificielle, l’inscrit dans une démarche d’art total atemporel et universel. Chaque élément de ses compositions répond à une nécessité formelle ou de structure, ce que l’artiste nomme la « morphologie architecturale ». L’artiste est un esprit libre et visionnaire. Le message qu’il transmet se fait par détournement des objets et des concepts. Ainsi, il offre au spectateur la possibilité de reconstituer le message et d’élaborer son propre questionnement.

 

 

Eser Gündüz - « The World against the World » — Galerie La La Lande - 11/12/22 - 15/01/23

 

Photos © Lionel Roche