Baya célèbre les femmes et la nature – Une mise à l’honneur nécessaire à l’IMA

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L’Institut du monde arabe poursuit sa saison algérienne avec une rétrospective de Baya (1931-1998) sous le commissariat de Claude Lemand (collectionneur, galeriste, éditeur d’art et généreux donateur à l’institution), de l’historienne Anissa Bouayed et de Djamila Chakour. Cet événement permettra, espérons-le, de faire (re)découvrir l’artiste algérienne au public, aujourd’hui sans doute trop méconnue et notamment en France.

Grâce aux recherches d’Anissa Bouayed effectuées aux Archives nationale d’outre-mer, Aix-en-Provence, l’exposition offre un regard neuf sur l'œuvre et nos connaissances sur l’artiste. Ainsi, l’on découvre les premières œuvres sur papier datant de 1944 à 1946, un exceptionnel ensemble des Contes de Baya, des gouaches sur papier ou carton ainsi que des sculptures en terre cuite (1947) et des céramiques réalisées chez Madoura en 1948. Accompagnent les œuvres, archives, articles et catalogues d’exposition de l’artiste, qui témoignent de sa riche fortune critique. 

 

Baya, L'Âne bleu, vers 1950. Gouache sur papier, 100 x 150 cm. - © Kamel Lazaar Foundation

 

Fatma Haddad est née en 1931 dans une Algérie alors sous colonisation française. Déjà orpheline de père à l’âge de six ans, elle perd sa mère trois ans plus tard. Elle adoptera le nom de sa mère, Baya, comme nom d’artiste. Confiée à sa grand-mère, la jeune fille fait la connaissance dans la ferme agricole où elle vit de Marguerite Caminat qui l’adoptera et qui l’emmène vivre à Alger. C’est auprès de Marguerite et de son premier époux que Baya est encouragée à laisser libre cours à son imagination et crée ses premières œuvres. Sa mère adoptive lui adjoint une institutrice à domicile qui lui apprend à lire et à écrire, dans un contexte où les filles indigènes restaient analphabètes à 98 % faute d’accéder à l’école. L’année 1947 est décisive pour la jeune fille de seize ans quand l’artiste Jean Peyrissac présente au marchand Aimé Maeght, de passage à Alger, des gouaches et une de ses sculptures. Séduit, Maeght lui offre ses cimaises parisiennes pour sa première exposition personnelle. À cette occasion, la revue de la galerie Derrière le Miroir lui consacre son sixième numéro avec des textes d’André Breton, Jean Peyrissac et Émile Dermenghem. L’exposition est relayée par la presse (articles d’André Chastel et Charles Estienne notamment) et connaît un grand succès. Deux mois plus tard, Baya présente trois sculptures à l’Exposition internationale du Surréalisme, galerie Maeght. L’année suivante, la rédactrice en chef de Vogue, Edmonde Charles-Roux lui consacre une double-page. Enfin à l’été 1948, Baya découvre l’atelier Madoura à Vallauris où travaille Picasso qu’elle rencontre à cette occasion.

 

Baya, Femme candélabre (atelier Madoura), 1948 © Photo Gabrielle Voinot.

 

De retour en Algérie, elle rencontre le poète Jean Sénac et illustre des poèmes pour sa revue Soleil. Après son mariage en 1953 avec El Hadj Mahfoud Mahieddine, lettré et maître de la musique arabo-andalouse, Baya met en pause son travail avant de le reprendre en 1961. Après l’Indépendance, Jean de Maisonseul, directeur du musée national des beaux-arts d’Alger, acquiert chez Maeght des peintures de Baya qui rejoignent la collection du musée. 1967 est une autre date clé dans la vie de Baya, avec sa participation au groupe d’avant-garde Aouchem aux côtés de Choukri Mesli et Denis Martinez. À cette date et jusqu’en 1985, le centre culturel français lui consacre régulièrement une exposition personnelle sur ses différents sites en Algérie.

 

Si elle continue d’exposer en Algérie, même pendant la décennie noire, le travail de Baya ne connaît pas la même reconnaissance en France depuis l’exposition inaugurale de 1948, hormis à l'occasion de quelques expositions collectives sur les femmes artistes du monde arabe.

 

Baya témoigne de sa façon de travailler ainsi : « je ne planifie rien. Je me réveille et je mets mes rêves sur le papier ». Dans ses univers oniriques et poétiques, la figure féminine est omniprésente, vivant en harmonie dans une faune et une flore luxuriante. Son animal fétiche, la huppe-paon, se fait compagnon voire confident des femmes musiciennes, danseuses ou muses d’un monde édénique dans des compositions où la musique est évoquée par la représentation, à partir de 1961, d’instruments de la musique arabo-musulmane tel le oud.

 

Baya, La Dame aux roses, 1967. Gouache sur papier, 101 x 152 cm. - © Musée de l'Institut du monde arabe

 

Les couleurs vives jaillissent des formes cernées de noir, les lignes arabesques s’enlacent et montrent le chemin que l’œil du spectateur doit suivre à partir de raccourcis pour une perspective feinte dans une composition plane et non moins illusionniste. L’artiste utilise toujours le papier comme support et la peinture à l’eau comme médium, exigeant une exécution rapide et sans repentir grâce à une maîtrise du geste imparable. 

 

Baya, Conte 1 - La dame dans sa belle maison, 1947 © Archives nationales d'outre-mer, Aix-en-Provence

 

Baya, Conte 8 - Le lion. La mère réagit, 1947 © Archives nationales d'outre-mer, Aix-en-Provence
 

Les femmes de Baya sont rapidement reconnaissables à leurs yeux délicatement fendus en amande, le « regard fleur » selon Assia Djebar, souvent le visage représenté de profil et vêtues de riches étoffes les transformant en reines d’un royaume où règnent le bonheur et la paix. Mais l’art de Baya n’est ni à rattacher à l’art médiumnique ni à l’art naïf. Revendiquant la liberté que lui confère la peinture, Baya explique qu’elle aime cette évasion et insiste sur le caractère impérieux de son art. La femme est l’objet des premiers tracés de sa composition, les éléments s’ordonnent ensuite autour d’elle, les instruments de musique, les animaux, les fleurs… La couleur vient en dernier.

 

Nombre d’écrivains ou d’éminents critiques ont écrit sur l’œuvre de Baya. L’écrivaine et académicienne Assia Djebar voit en elle une miraculée, le premier maillon d’une « chaîne de séquestrées », ces femmes recluses dans une arrière-cour que personne ne vient voir, ces femmes qui ont sacrifié leur envie créatrice et artistique pour la maternité et la vie au foyer. Jean de Maisonseul s’interrogeait sur la connaissance innée de l’artiste des mystères du monde. André Breton emploie les qualificatifs de « reine » et de « fusée » disant de Baya qu’elle « tient et ranime le rameau d’or ».

 

Baya, Femme, oiseaux, grappe et fleurs, 1998. Gouache sur papier, 64,5 x 49,5 cm. © Coll. part.

 

« Baya, icône de la peinture algérienne. Femmes en leur jardin »

Institut du Monde arabe, jusqu’au 26 mars 2023.

Centre de la Vieille Charité, Marseille, du 11 mai au 24 septembre 2023.

Commissaires de l’exposition : Claude Lemand, Anissa Bouayed, Djamila Chakour.

 

 

Image de couverture : BAYA, Grande Frise, 1949 © Musée Réattu, Arles - Photo JP Rosseuw.