“Algérie mon amour. Peintres de la fraternité algérienne” présente trois générations d’artistes (Louis Nallard, l’aîné, est né en 1918 et El Meya, la plus jeune artiste est née en 1988) : des artistes modernes et contemporains, vivant ou ayant vécu en Algérie et ceux issus de la diaspora.
Le collectionneur et ancien galeriste Claude Lemand est le commissaire de l’exposition, riche de son exceptionnelle donation à l’Institut initiée avec son épouse France depuis 2018. C’est à partir de 1987 que Claude Lemand démarre sa collection d’artistes algériens grâce à sa rencontre avec Abdallah Benanteur (1931-2017) venu en France dès 1953 après avoir étudié à l’école des beaux-arts d’Oran. L’on doit à l’artiste environ un millier d’ouvrages de poèmes du monde entier qu’il réalise entièrement, de la maquette, du choix du papier à la gravure des planches illustratives. Bibliophile, Lemand lui achète quelques-uns de ces livres d’artistes uniques. L’IMA présente notamment l’ouvrage À Jamila Bouhired, poème de l’Irakien Badr Shaker Al-Sayyab, illustré par Benanteur en 2001. Jamila Bouhired est une figure héroïque de la guerre d’indépendance de l’Algérie et membre du FNL. Claude Lemand rappelle les mots de Benanteur sur l’attachement viscéral qui lie les artistes algériens à leur mère patrie : « L’Algérie est en moi, seuls mes pieds l’ont quittée ; mon esprit rôde en permanence parmi les miens. »
Deux événements notables ont marqué et façonné les artistes algériens de la première moitié du XXe siècle. Le premier est la découverte et la diffusion des représentations des gravures et peintures rupestres du Tassili N’Ajjer au sud-est du désert du Sahara, datant pour les plus anciennes de -10 000 avant notre ère. Le second événement qui fait date est la publication en 1967 du manifeste Aouchem (Tatouages) par des artistes se réclamant d’un héritage plurimillénaire et autochtone. Parmi ces artistes auteurs du manifeste, Denis Martinez et Choukri Mesli présents dans l’exposition. Après l’indépendance violemment obtenue en 1962, les artistes algériens signifient avec Aouchem leur rupture totale avec les influences françaises et coloniales: “Il s’agit d’insérer la nouvelle réalité algérienne dans l’humanisme universel en formation de la seconde moitié du XXe siècle.”
Génération 1930
La “Génération 1930” qui comprend des artistes algériens venus un temps à Paris après la Seconde Guerre mondiale (Abdallah Benanteur, Abdelkader Guermaz, Mohammed Khadda, M’hamed Issiakhem, Choukri Mesli) revient en Algérie lors de son indépendance. L’abstraction est prédominante pour la plupart d’entre eux.
L’exposition s’attache à mettre en valeur certains de ses représentants les plus importants :
Baya (1931-1998) est une artiste qui connut le succès très tôt. Formée par sa mère adoptive de 1944 à 1946, elle a seize ans quand l’éminent marchand, ami des poètes, Aimé Maeght lui organise sa première exposition personnelle à Paris dans sa galerie en 1947, découverte grâce à l’artiste Jean Peyrissac. Un numéro de la revue de la galerie, Derrière le miroir, lui est consacré avec une préface d’André Breton et des poèmes de Jacques Kober. Deux ans plus tard, c’est au tour de Picasso de remarquer les céramiques qu’elle a réalisées à l’atelier Madoura. Elle collabore également avec des illustrations à la revue Soleil, fondée par le poète Jean Sénac en 1950. Après l’Indépendance, le directeur du musée des beaux-arts d’Alger, Jean de Maisonseul, la soutient durablement. Son œuvre peint est emprunt d’une poésie tendre où la fantaisie se nourrit d’un fort imaginaire enclin à la narration que lui inspire contes et légendes exaltés par un sens de la couleur inné.
Baya, Les Rideaux jaunes, 1947, gouache sur papier, 72 x 91 cm. © Musée de l’IMA
Abdallah Benanteur, Le Hoggar, 1960, huile sur toile, 100 x 200 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Aouchem
Denis Martinez (né en 1941) et Choukri Mesli (1931-2017), deux artistes à l’origine du groupe Aouchem en 1967, incarnent la génération intermédiaire aux côtés de Rachid Koraïchi.
Choukri Mesli, Les Protectrices, 1991, technique mixte sur carton, 110 x 74,5 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA
Nouvelle génération
Avec deux photographies tirées de sa série “Mémoire dans l’oubli”, Halida Boughriet (née en 1980) rend hommage aux femmes algériennes, témoins et actrices de la guerre d’Algérie pour son indépendance, trop souvent oubliées. En reprenant ce procédé d’un cadrage similaire pour chacune des photographies de la série, Boughriet insiste sur la corporéité de son modèle en rappelant ainsi le regard fantasmé que Delacroix portait sur les femmes algériennes. D’oubliées et anonymes, ces femmes incarnent la résistance, la mémoire du peuple algérien.
Halida Boughriet, Mémoire dans l’oubli, 2010-2011, série de six photographies, tirage Lambda sur Dibon, 120 x 180 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA
Née en 1977, Zoulikha Bouabdellah grandit à Alger avant de s’installer en France au début de la décennie noire (1992-2000). Artiste plasticienne et vidéaste, elle s’interroge sur la place de la femme dans les sociétés patriarcales. Dans Le Sommeil. (Hommage à Gustave Courbet), l’artiste peint au vernis à ongle rouge (symbole de la féminité et de la séduction) les silhouettes de deux femmes nues et alanguies évoquant l’amour saphique. Si d’un premier abord, l’érotisme semble dominer, la coulure du vernis, sa couleur rouge sang fait écho à la mort, à la transgression.
Zoulikha Bouabdellah, Le Sommeil (Hommage à Gustave Courbet), 2016-2019, dessin original, laque rouge sur huit papiers, 160 x 280 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA
Benjamine du groupe, El Meya, née en 1988, incarne la relève de la scène algérienne contemporaine. Son tableau présenté dans l’exposition convoque la figure historique d’Abdelkader, héros de la campagne militaire contre la France en Algérie au milieu du XIXe. Déconstruisant la représentation héroïque d’une figure de l’histoire algérienne, l’artiste multiplie la représentation d’Abdelkader sur la toile. Les quatre visages identiques de l’émir vus sous différents angles. La figure centrale, sur un cheval blanc est dans la veine de la peinture d’histoire du héros triomphant sur le champ de bataille.
El Meya Benchikh El Fegoun, Le cheval blanc, 2021, acrylique sur toile, 175 x 198 cm. © Donation Claude et France Lemand 2021. Musée de l’IMA
“Algérie mon amour. Artistes de la fraternité algérienne, 1953-2021” — Institut du monde arabe, jusqu’au 31 juillet 2022
Avec les oeuvres de Louis Nallard, Abdelkader Guermaz, M’hamed Issiakhem, Mohammed Khadda, Baya, Choukri Mesli, Abdallah Benanteur, Souhila Bel Bahar, Mohamed Aksouh, Denis Martinez, Mahjoub Ben Bella, Rachid Koraïchi, Mohand Amara, Abderrahmane Ould Mohand, Kamel Yahiaoui, Zoulikha Bouabdellah, Halida Boughriet et El Meya Benchikh El Fegoun.
Dans le cadre de la saison algérienne “Regards sur l’Algérie à l’IMA”, en 2022-2023, l’IMA présente en parallèle d’ “Algérie mon amour” trois autres expositions-événements : “Raymond Depardon/Kamel Daoud. Son œil dans ma main. Algérie 1961-2019” jusqu’au 17 juillet 2022 ; “Benanteur, le chant de la terre” du 13 septembre 2022 au 8 janvier 2023 ; “Baya. Femmes dans leur jardin” du 8 novembre 2022 au 26 février 2023.