Le Grand-Duché se positionne sur la carte des foires

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En 2015, le marchand Alex Reding lançait la première édition de Luxembourg Art Week.

À l’origine, l’on comptait une vingtaine de galeries du Grand Duché et de la région. Sept ans après, la foire prend un bel essor : 77 exposants dont des galeries-poids lourds du marché : galerie Lelong & Co (Paris), Nosbaum Reding, (Luxembourg), Ceysson & Bénétière (Luxembourg, New York, Paris, Lyon, Genève, Saint-Étienne), galerie Laurentin (Paris, Bruxelles), Praz-Delavallade (Paris)... 

 

Venues majoritairement de France, de Belgique, d’Allemagne et de Luxembourg, les galeries se répartissaient en quatre sections : Main Section, Take Off (défendue par le Ministère de la Culture, cette section met en avant la jeune création et les institutions), First Call (première participation pour des galeries internationales dans des conditions favorables) et Focus (pleins feux sur la création contemporaine d’une ville, cette année Bruxelles). 

 

Dédiées aussi bien au premier qu’au second marché, les galeries étaient unanimes pour dire leur satisfaction le lendemain du vernissage qui fut très couru. 

 

La galerie Ariane C-Y présentait un éventail de ses artistes (Guillaume Castel, Rosa Maria Unda Souki, William Wright) parmi lesquels Camille Brès dont le travail a retenu notre attention. Née en 1987, l’artiste vit et travaille à Strasbourg et a rejoint la galerie en novembre dernier. En 2020, Brès a participé à la 70e édition de Jeune Création. La période de confinement mondial a inspiré l’artiste avec Coloration maison, réflexion sur tout le quotidien auquel l’on ne prêtait plus attention. 

 

Le confinement a conduit certains à s’adapter à la débrouille (notamment faire soi-même sa coloration ou son épilation). L’artiste se représente ici en train d’appliquer sa couleur face au miroir; le premier plan la représente de dos et pousse notre regard au second plan, nous la montrant de face, concentrée sur son application de couleur. L’observation minutieuse par l’artiste d’un quotidien banal est ici galvanisée par l’emploi des couleurs vives voire audacieuses qui nous séduit beaucoup. Sur le stand d’en face, chez Aedaen Gallery, d’autres pièces de Brès étaient visibles, des gouaches sur papier de grand format et deux toiles. 

 

Camille Brès, Coloration maison, 2021, oil on canvas, 75 x 90 cm. Courtesy galerie Ariane C-Y. ©Emilie Vialet.

 

Guillaume Pinard (né en 1971), sur le stand de la galerie Anne Barrault, offre au regard du spectateur des toiles empreintes d’étrangeté qui nous interpellent. Diverses lectures des œuvres sont possibles, un monde étrange et polymorphe est convoqué : bestiaire, créatures mi-humaines et mi-animales… 

 

Guillaume Pinard, L’Éclaircie, 2021, acrylic on canvas, 80 x 60 cm. Courtesy Galerie Anne Barrault, Paris. ©image : Aurélien Mole

 

L’artiste est présenté en ce moment à Paris pour sa sixième exposition personnelle à la galerie Anne Barrault. 

 

Sur son stand, Delphine Courtay avait choisi de présenter des estampes de Damien Deroubaix et de Yannick Vey aux côtés des paños, ces dessins sur mouchoirs ou bout de tissus réalisés par des prisonniers américains chicanos. Yannick Vey (né en 1972), auquel la galerie consacrera une exposition personnelle au printemps 2022, présentait un ensemble de lithographies. En 2011, Deroubaix et Vey avaient exposé ensemble aux Abattoirs à Toulouse, “My journey to the stars” où le public avait découvert Fist de Yannick Vey, visible sur le stand de la foire. 

 

Présente dans la section Focus, la galerie DYS (Bruxelles) présentait trois artistes. Étienne Pottier (Français, né en 1983) crée de majestueuses compositions de céramiques émaillées qui fourmillent de détails et dans lesquelles l’on plonge avec délice. Faune et flore s’entrelacent en abondance.

 

Etienne Pottier, La Fournaise, 2021, 90 x 60 x 20 cm, glazed ceramic and mirror. Courtesy Galerie DYS. 

 

Les œuvres sur papier d’Emma Larsson (Suédoise, née en 1977) et les photographies-montages érotico-poétiques de Jacques Courtejoie (Belge, né en 1949) complétaient l’ensemble. Toujours dans la section Focus, le stand de Félix Frachon, notons une œuvre-quadriptyque de B. Ajay Sharma et les coiffes-masques de Pierre-Louis Graizon dont deux sont actuellement visibles au cinéma dans le dernier James Bond ! 

 

Emma Larsson, The Hunting II, 2021, mixed technique on paper, 46 x 61 cm. Courtesy Galerie DYS. 

 

L’artiste nigérian, né en 1983, John Madu était à l’honneur sur le stand de Zidoun-Bossuyt Gallery, qui le présente également dans sa galerie de Luxembourg jusqu’à la fin de l’année. Autodidacte, l’artiste représente une série de personnages, dont Grace Jones, qui évoluent dans des décors aux couleurs vives qui s’étalent en aplats aux couleurs unies. S’il convoque l’univers de Van Gogh (l’on retrouve ici les cieux de la Nuit étoilée, là ses fameux Tournesols), c’est pour mieux les détourner et réinventer une composition où son personnage prend l’ascendant. À l’instar d’Is it safe yet II, sur le stand, qui nous montre une femme à la coupe punk, accoudée et entourée d’une boîte de corn flaks Kellog’s et lisant un livre s’intitulant So You Have Decided To Become Weird & Isolated, les tournesols van goghiens nous rappellent la solitude du maître. Détournant une histoire de l’art européocentrée, Madu nous signale qu’une autre Histoire de l’art est absente; la brique de lait sur la table affiche un avis de recherche pour une statuette chinoise en terre cuite. 

 

John Madu, Is it safe yet II, 2021, acrylic on canvas, 150 x 145 cm. Courtesy John Madu & Zidoun-Bossuyt Gallery. 

 

Les galeries d’art moderne étaient représentées avec Antoine Laurentin (Evelyne Axel, Gustave Singier et une proposition sur le thème du reflet avec des sculptures de Pol Bury et des photographies de Lucien Clergue), Jean-Pierre Arnoux avec les peintres abstraits des années 1950 (Oscar Gautier, André Lanskoy, Jacques Germain…); Maurice Verbaet avec ses abstraits belges (Jo Delahaut, Francis Olin, Manu vb Tintoré…); Frédéric Hessler présentait un beau Hantai de 1974, une huile sur toile de Claire Falkenstein de 1961 ainsi que de lithographies de Christo; Eva Meyer dédiait son stand à Man Ray et Picabia tandis que la galerie etc permettait de redécouvrir l’artiste américain Charles Pollock, frère de Jackson. 


Il sera intéressant de suivre l’évolution de Luxembourg Art Week, dans une ville qui se positionne de plus en plus dans un marché au carrefour idéalement situé entre la France, l’Allemagne, la Belgique et la Suisse, pays qui possèdent tous de puissants réseaux de collectionneurs établis et en devenir. Luxembourg a tous les atouts pour attirer de nouveaux collectionneurs et fonds d’investissement dans le marché de l’art, la ville dispose d’un port franc, d’un musée international, le Mudam, qui vient d’accueillir sa nouvelle directrice, Bettina Steinbrügge, passée par la direction de la Halle für Kunst de Lüneburg et le Kunstverein d’Hambourg et succédant à Suzanne Cotter qui retourne en Australie pour diriger le Museum of Contemporary Art Australia. Le Mudam, qui a toujours une programmation ambitieuse, présentera l’an prochain une série d’expositions monographiques qui s’annoncent attendues : Zoe Leonard, Lynette Yiadom-Boakye, Tacita Dean et encore Tarek Atoui. 

 

À l’heure du post-Brexit, Paris se voit comme la nouvelle capitale européenne des Arts mais signalons que l’an prochain c’est à la ville luxembourgeoise d’Esch-sur-Alzette, que sera échu ce titre de Capitale européenne de la Culture. 

 

À suivre… 

 

 

Image de couverture: Yannick Vey, Tirésias, serie "Les Éthérés”, lithography, 2017, 11/20, 32,5 x 37 cm. Courtesy galerie Delphine Courtay. 

 

Luxembourg Art Week

12-14 novembre 2021

 

 

Mudam 

Zoe Leonard, “Al Rio/To the River”, 26 février-6 juin 2022. 

Lynette Yiadom-Boakye, “Fly in League with the Night’, 2 avril-5 septembre 2022. 

Tacita Dean, 9 juillet 2022-29 janvier 2023. 

Tarek Atoui, “Water’s Witness”, 24 septembre 2022-19 février 2023.