Jusqu'au 14 septembre, les visiteurs du musée ont la possibilité de se plonger dans une sorte de vide temporaire qui les hypnotise à travers les sons répétitifs émis par soixante mille fils de silicone qui tranchent l'air. La volonté de l'artiste apparaît ici claire, elle souhaite faire disparaître son propre acte créatif pour offrir au spectateur les clés de son œuvre. Ce n'est pas un hasard si Susanna Fritscher fait elle-même référence au travail de John Cage, auteur des célèbres quatre minutes trente-trois secondes de silence, une expérience du silence désiré. Lorsqu'il interprète la performance, le pianiste soulève le couvercle du piano et laisse ses mains au dessus des touches. L'espace environnant produit alors un chef-d'œuvre, seuls des bruits imprévisibles, involontaires, sont perceptibles.
Frémissements de Susanna Fritscher — née en 1960 à Vienne et aujourd'hui reconnue internationalement —, offre une autre interprétation de ce phénomène : la méditation collective, pour laquelle elle crée les conditions. Au sein de l'auditorium, chacun crée son propre « silence » subjectif, sa propre réalité, l'objectivité étant atteinte collectivement. À cet instant, l'artiste atteint son but ; la conscience du public se modifie, il repense la manière de considérer la créativité.
L'exposition organisée en parallèle, « Le ciel comme Atelier. Yves Klein et ses contemporains » — la dernière sous le commissariat d'Emma Lavigne avant son départ pour la direction du Palais de Tokyo —, propose au public un large éventail d'expériences, à travers l'usage de matériaux nouveaux et non conventionnels pour l'époque. En choisissant le vide et le silence comme bases d'une nouvelle pensée, les artistes du Groupe Zero interagissent avec la réalité d'une manière différente de leurs prédécesseurs. Parmi les neuf sections de l'exposition, « Section III: Zones Blanches » est la plus singulière ; elle est dédiée à la recherche perpétuelle de ces artistes pour une représentation pure du blanc, mettant en lumière la dimension philosophique du travail d'Yves Klein et de ses contemporains.
Charles Wilp, Yves Klein travaillant à l’Opéra-Théâtre de Gelsenkirchen, 1958 - Version PRINT | Photographie © Charles Wilp / BPK, Berlin
© Succession Yves Klein c/o Adagp, Paris, 2020
À partir des expériences de monochromes de Kazimir Malevitch, qui s'efforce de parvenir à la dématérialisation de la forme par la création de compositions suprématistes, à l'aide d'un blanc pur, Yves Klein ouvre la voie à la dématérialisation de la peinture en tant que telle. L'aspiration vers l'infini et l'utilisation de « l'immatériel » se développent dans les installations d'Otto Piene (Section IX: Visions Cosmiques), ainsi que dans la collaboration de Klein avec l'architecte Claude Parent sur les projets d'architecture aérienne (Section VI: Architectures de l'air), qui considèrent l'air comme le matériau principal du « bâtiment » (Cité climatisée, toit d'air, murs de feu, lit d'air, 1961).
Otto Piene, Lichtraum mit Mönchengladbach Wand
Pièce lumineuse avec mur de Mönchengladbach], 1963-2013 | Otto Piene Estate. Courtesy Sprüth Magers, Berlin
© ADAGP, Paris, 2020 © Sprueth Magers (Gallery) / Estate Otto Piene
Les deux expositions présentées en parallèle au Centre Pompidou-Metz trouvent un point de convergence dans l'objectif recherché par les artistes — une démarche dépassant une logique individuelle et une recherche de l'infini, démontrant un degré différent de réalité. Si Yves Klein et ses contemporains voient leurs projets expérimentaux comme une transition en douceur du matériel vers l'immatériel, à travers des recherches parfois utopiques et une synthèse de différentes formes de création et de collaborations, les installations de Susanna Fritscher illustrent la fusion de concepts innovants et les possibilités de l'espace architectural, ainsi qu'une réalisation de « l'atelier de l'air » auquel aspiraient Klein et ses contemporains.
Yves Klein, Sculpture aérostatique, 1957 - Version PRINT | Photographie
© Succession Yves Klein c/o ADAGP, Paris – Cliché : Archives Klein / ADAGP Images
« Susanna Fritscher. Frémissements », jsuqu'au 14 septembre 2020.
« Le Ciel comme atelier. Yves Klein et ses contemporains » jusqu'au 1er février 2021
Centre Pompidou-Metz, 1, Parvis des Droits-de-l’Homme, Metz.