Vous considérez-vous comme un membre du courant de l'Arte Povera ?
J'étais là lors de la première exposition, en 1967 — avec Giuseppe Penone, Alighiero Boetti, Luciano Fabro… —, alors oui, mais les artistes associés à l'Arte Povera sont très différents… je n'ai jamais revendiqué ça, on utilise des matériaux pauvres, on utilise l'espace, on sort du tableau, voilà ce qui nous lie.
Untitled, 2011, Ca’ Corner della Regina, Venise.,Photo : Agostino Osio - Alto Piano Courtesy Fondazione Prada
Vous vous définissez comme un peintre, mais ce médium n'est pas central dans votre travail
Parce que je suis un peintre ! La peinture c'est une logique, ce n'est pas « une chose ». Tout cela date de l'époque de la Renaissance, de Masaccio, etc. Cela reflète une logique, une nouvelle idée révolutionnaire, à laquelle j'appartiens. Un danseur, c'est un artiste. Moi je ne suis pas un danseur.
J'appartiens à la famille des peintres, et je considère par exemple, qu'un poète comme Rimbaud, c'est un peintre. Parce qu'il a une logique, il a une idée de la chose, ça se voit ! S'il ne peint mais qu'il fait de la poésie, il a « cette chose-là », et beaucoup d'hommes de lettres ont cette logique visuelle.
Il y a donc des artistes qui travaillent autour de la peinture sans être des peintres ?
Dans la création américaine, j'aime bien la génération de Pollock, mais les minimalistes — bien que j'aime l'idée —, ont réalisé des pièces qui se situent plutôt dans le domaine de l'architecture que dans la peinture. Le minimalisme, c'est un style, et je n'ai jamais aimé l'idée de « style ».
Je n'ai rien contre ça, mais c'est différent. Il y a une différence fondamentale, et très intéressante, entre la culture américaine et la culture européenne qui cherche continuellement à se renouveler. La culture européenne a toujours ses racines dans l'humanisme.
Jannis Kounellis, Centro Arti Visive Pescheria, Pesaro 2016. Photo: Michele Alberto Sereni.
Quel est votre rapport au public ?
Je suis aussi un peu un homme de théâtre, un homme de scène. L'idée n'est pas de travailler avec pour objectif d'être aimé du public, sinon ça serait du populisme. Toutes mes premières oeuvres sont appuyées sur une idée d'hermétisme, des toiles avec des lettres, une forme de poésie hermétique.
Une peintre poète et musicien donc ?
Dans mes œuvres, il y a un rythme, les toutes premières, je les chantais. Elles sont comme des lettres, c'est fait dans l'espace, mais je ne vous lirai pas cette poésie, je suis égoïste. Je la garde pour moi.
Comment qualifiez-vous l'évolution de votre travail au fil des années ?
Tout est cyclique, donc... tu fais, tu reviens.. tu ne reviens pas à cause d'une attraction formelle, mais tu le fais parce que tu es destiné à revenir. C'est le destin, plutôt qu'une attraction formelle.
Une forme de révolution ?
Je ne suis pas conservateur, et il n'y a pas d'évolution, il y a une révolution ! La révolution fait face au passé, ce n'est pas une évolution qui indique un développement.
Untitled, 2006, Ca’ Corner della Regina, Venise.
Le moderne s'attaque au passé, tandis que le modernisme, reste en surface. Moi je suis un artiste moderne, pas évolutionniste.
L'évolution conduit inévitablement au consumérisme, à la prise en compte des exigences du marché. Si ce marché a toujours existé, le souci ce n'est pas de vendre, on vend, on a toujours vendu.. mais travailler pour vendre.. c'est pervers.