Quand 2+2 = 2 | Les mémoires s'additionnent dans la création de Zsolt Asztalos

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Zsolt Asztalos in his studio, photo credit Anne Murray
J'ai récemment eu l'occasion de rencontrer l'artiste hongrois Zsolt Asztalos à Budapest, et ainsi observer la production de ses deux séries My Art et Sculptures of Memory, qui seront présentées au printemps lors d'expositions à la Ani Molnár Gallery et au Kiscelli Museum.

 

Étant moi-même artiste-auteure, observer le processus de création d'un artiste est singulier, le studio se situant à mi-chemin entre un laboratoire et un atelier. Chaque œuvre prend ici la forme d'un Vase canope, contenant et préservant une mémoire devant élixir d'une production artistique. Observant en silence ce processus, je prends des photographies et devient ainsi, par certains égards, une participante. Regarder une œuvre d'art, c'est enregistrer un moment, la graver dans la mémoire collective, qui sera diffusée sous de multiples formes.

 

My Art series, by Zsolt Asztalos, photo courtesy of Ani Molnár Gallery

 

My Art series, by Zsolt Asztalos, photo courtesy of Ani Molnár Gallery

 

Le travail de Zsolt Asztalos de la série My Art, s'apparente à des photos encadrées, vues uniquement du verso, et équilibrées sur un fond neutre. Elles reposent les unes contre les autres pendant un moment, comme si dans un moment de transition d'un endroit à un autre, elles semblent génériques, voire dépourvues d'émotion, mais la réalité est bien différente. Conformément à son travail précédent, sa présentation subtile peut frapper le spectateur. Avec en toile de fond un humour noir, elles sont caractérisées par une précision étonnante et poignante, débordant d'émotions intenses et sans attaches. L'arrière vacant d'un cadre est éclairé avec le plus grand soin, comme s'il s'agissait d'un enfant ou même d'un autoportrait semblable à un Rembrandt, un regard effrayant dans sa dimension évasive, comme le serait un œil répondant par l'émotion à une question directe.

 

Ces œuvres semblent à la fois s'affronter et s'équilibrer, au fil des moments de symbiose et de dissonance. Sur le plan conceptuel, cet ensemble a un sens. Ces œuvres ont été réalisées ces dernières années, avant d'être mises au repos, ayant une existence semblable à tant d'œuvres d'art, empilées et rangées, cataloguées, étiquetées, et oubliées par l'histoire. Viscéralement, ce sont des êtres en elles-mêmes : enfants, amants, âmes à naître peut-être ; ils sont repensés et photographiés, assemblés comme dans une manufacture, mais pourtant, la chaleur qui s'en dégage ou les touche, en raison du soin apporté et de l'interaction avec l'artiste, du cadrage réfléchi de la photo et de la lumière délicate, qui les caresse presque. En regardant Asztalos mettre en place l'œuvre, j'ai réfléchi à la nature intime de l'interaction entre l'artiste et les objets qu'il a créés, il a alors poussé une œuvre avec son orteil, et s'est penché de manière dynamique, les bras tendus, le dos arqué, dans des contorsions à la fois naturelles et instinctives, alors qu'il montait chaque scénario et cliquait sur l'obturateur de son appareil photo.

 

 

Sculptures of Memory series, by Zsolt Asztalos, photo courtesy of Ani Molnár Gallery

 

Un soir de novembre, j'ai visité son atelier, pour voir le début de la nouvelle série, Sculptures of Memory. Il avait repris tout l'étage avec des segments modulaires, des morceaux de bois, des lettres tridimensionnelles achetées et fabriquées à partir de ce qui semblait être du carton et du papier, des photos, ou encore des blocs de pierre. Un langage émergeait, comme déterré des sédiments du temps et de son expérience personnelle, les souvenirs commençaient à se suffire à eux-mêmes.

 

Dans une correspondance, Zsolt Asztalos explique la progression de ces œuvres : « La relation entre My Art et la nouvelle série pour le Musée Kiscelli, Sculptures of Memory, est une sorte d'abstraction. My Art propose de nouvelles œuvres abstraites à partir de ma précédente production, et les Sculptures of Memory sont une abstraction du souvenir. Donc, fondamentalement, les principaux concepts de ces séries sont différents, mais la façon dont j'exprime ces concepts est similaire. Ces créations abstraites rappellent l'art abstrait de la première moitié du XXe siècle. Par exemple, certaines des sculptures de la mémoire renvoient à El Lissitzky ou d'autres artistes célèbres de cette période. Mais ce n'est qu'une forme de la façon dont j'exprime mon idée. Au delà de la dimension plastique, le concept principal est l'abstraction — la voie du souvenir sous un aspect scientifique. »

 

 

Sculptures of Memory series, by Zsolt Asztalos, photo courtesy of Ani Molnár Gallery

 

Zsolt Asztalos a également partagé avec moi un texte d'Alan Baddeley, qu'il avait rencontré dans le cadre de ses recherches, issu de l'ouvrage Human Memory. Le texte aborde les moments de réminiscence comme ces moments de développement personnel, considérés comme des expériences à part entière, associant divers moments. En regardant les objets éparpillés dans la pièce, j’ai par ailleurs établi un lien entre sa langue maternelle et sa production artistique. Après avoir passé un mois à étudier le hongrois, j'ai pensé à la nature de cette langue, composée de petits segments qui se répètent, avec des terminaisons collées sur la racine des mots, offrant une grande diversité de sens à la même racine ; j'ai vu une pièce remplie de ces tiges de mémoire empilées de terminaisons, de possibilités, de réalités différentes. En hongrois, il y a des lettres qui peuvent être un son né d'une combinaison de deux lettres, mais qui placées dans un ordre différent produisent deux sons différents. Cela m'évoque l'équation :  2 + 2 = 2. Alors que je vois ici deux lettres, une autre personne y verra un son, tandis que la somme sera vue d'une manière différente. Comme les combinaisons de lettres de l'alphabet hongrois, chacun de ces instants de mémoire rappelés dans ces sculptures pourrait être interprété au regard d'une variété de langues. Ainsi, la mémoire est la même, mais l'inférence est différente ; le souvenir est décrit d'une manière unique.

 

Si nous regardons notre passé collectif, la mémoire a été immortalisée dans les écrits de Marcel Proust, notamment dans l'ouvrage À la recherche du temps perdu, où sont associés le goût, la texture, l'odeur de la Madeleine, à des souvenirs. Zsolt Asztalos utilise des objets ordinaires, des lettres, des moments de sa vie quotidienne pour reconstruire ces instants, sans laisser la nostalgie les dégrader. Nous sommes immergés ici dans les annales de sa psyché, où se forment les souvenirs, mais où nous formons également nos propres émotions à partir de cette expérience.

 

J'ai ensuite interrogé Asztalos sur son parcours scolaire en sachant qu'il avait étudié avec l'artiste Dóra Maurer, dont le travail est actuellement exposé à la Tate Modern de Londres.

 

« À mon entrée à l'Université, j'ai étudié pendant deux ans avec un autre professeur. Ce cours était un peu traditionnel, et ce professeur ne comprenait pas et n'approuvait pas ma pensée conceptuelle. J'ai alors choisi de rejoindre la classe de Maurer, qui avait un fort caractère aussi bien dans sa manière d'enseigner que dans sa pratique artistique. Elle était théoricienne, je veux dire qu'elle pouvait parler de l'art de manière très claire. Elle m'a accepté dans sa classe après que nous ayons discuté de ma pratique artistique. C'était comme un examen. Elle était curieuse de savoir ce que j'avais à dire de mes œuvres. Je me souviens clairement de sa dernière question avant qu'elle ne décide de mon intégration. »

 

Elle m'a alors demandé : « La dissymétrie peut-elle être harmonique ? » J'ai immédiatement répondu : « Oui », puis elle a souri et a immédiatement donné son accord. J'ai ensuite étudié pendant trois ans dans sa classe. Elle m'a toujours donné, ainsi qu'à tous les étudiants, une liberté absolue dans ma recherche artistique. Elle s'est entretenue personnellement avec chaque élève deux fois par semaine et nous a demandé de parler de nos intentions, de nos recherches, et nous a convaincus d'utiliser nos propres mots pour exprimer notre création artistique. Elle était assez différente des autres professeurs de l'université. Elle était une théoricienne intelligente, une critique d'art, pas seulement une artiste. »

 

Cette liberté donnée et le soutien au processus de construction de son identité artistique semblent ressurgir dans les œuvres ici présentées, l'influence de Dóra Maurer est indiscernable, mais indéniablement positive.

 

 

Asztalos and Maurer at Ani Molnár Gallery, photo credit Anne Murray

 

 

Les prochaines expositions de l'artiste :

 

 

Ani Molnár Gallery

Budapest

Opening February 20th, 2020, 6pm

February 21st-April 25th, 2020

 

 

 

Center for Contemporary Art and Culture 

March 5th-April 18th, 2020

 

 

 

 

Kiscelli Museum

June 5th- August 12th, 2020

 

 

 

Art Brussels, represented by Ani Molnár Gallery

23 – 26 April 2020