Pour atteindre la conférence organisée à l'occasion à l'Arsenale, passage obligé par la Place Saint Marc, sous l'eau — un environnement m'évoquant immédiatement la puissante installation de Marco Godinho, Written by Water, présentée au sein du Pavillon luxembourgeois sous le commissariat de Kevin Muhlen.
Paolo Baratta and Ralph Rugoff, photo credit: Anne Murray
Ici, la relation entre l'humanité et la mer a entre autres été abordée à travers la littérature et la vidéo. Written by Water — dont le pavillon a pris le nom — est une vaste installation, un assemblage de centaines de cahiers, trempés dans la mer puis soigneusement séchés et exposés, leurs pages recourbées formant un récif de corail, intégrant des créatures marines, de micro-organismes invisibles et de micro-histoires que le spectateur était libre d'interpréter.
L'œuvre de Marco Godinho résonne avec les inondations actuelles ; et si le désastre subi par la ville, touchant de nombreuses œuvres, nous évoque la question du changement climatique, les cahiers de l'artiste nous racontent les secrets de la mer à travers leurs pages trempées dans l'eau salée. Au fil de la contemplation de Written by Water, celle-ci résonnera avec le contexte, le visiteur en découvrant la profondeur.
Piazza San Marco, photo credit: Anne Murray
Marco Godinho m'explique la relation au temps présente dans l'œuvre, See Another Sea, déterminante à l'heure de quitter Venise. Ici, Alberto portait un T-shirt blanc sur lequel était reproduit un poème composé de 201 vers — soit le nombre de jours d'ouverture de la Biennale. « Ce travail, comme beaucoup d’autres dans ma pratique, questionne les notions de temps et précisément de rythme, de souffle, mais comprend aussi un programme se déroulant sur la durée de l’exposition, une répétition quotidienne, un mantra. La relation avec le mouvement de la mer, les vagues, est quelque chose que je voulais intégrer au pavillon.
Cette idée que quelque chose de bien présent soit presque imperceptible est très importante pour moi. Je voulais aussi proposer une expérience qui ne soit pas figée, qui emprunte chaque jour un autre chemin, le va-et-vient des vagues, les marées hautes et basses, qui semblent se répéter à chaque instant, mais sont différentes à chaque fois. Le lien avec le mouvement de la mer est précisément celui-là, pour être conscient du fait que tout est en mouvement et qu'il faut à tout moment s'adapter et s'ouvrir à cette différence, imperceptible. Il est fascinant de confronter une chose aux éléments naturels, car on ne sait jamais ce qui peut arriver » développe l'artiste.
Artist Marco Godinho in the Luxembourg Pavilion, photo credit: Estelle Vétois
Le curateur Ralph Rugoff a tenu à souligner dans le cadre de la conférence Meeting on Art, le rôle de l'art l'art en tant que « lieu où nous pouvons relater le monde au regard de notre expérience, de manière nuancée, à des niveaux différents, estimant que « l'expérience humaine est faite d'ambivalences, qu'elle est diverse. »
Si le travail de Marco Godinho n'est pas présenté sous le commissariat de Ralph Rugoff, ils semblent partager l'idée d'un artiste ayant un rôle d'explorateur, à travers une infinité de routes, de nouvelles possibilités.
L'œuvre de Marco Godinho, Oblivion (Water), composée d'eau de vie du Portugal et du Luxembourg, de Jujube de Coréen, de bouteilles en verre soufflé, de liège,de métal, d'un miroir sans tain, le tout éclairé, avait été réalisée pour être « consommée » dans les derniers moments de la biennale ; elle apporte un message crucial au regard de notre existence. « Dans cette œuvre, est posée la question de croire en l'art. Basé sur le temps, prenant la forme d'un processus continu, ce travail est une invitation à se réunir et à croire en des idées pouvant vous amener à être davantage disponible pour les autres. Comme dans la vie, ces types de travail sont également fragiles, ils peuvent échouer et mener à d'autres relations inattendues. C'est une valeur de plus en plus présente dans mon travail, quelque chose que je veux explorer, sans savoir exactement où cela me mènera. Evoquer ainsi mon futur travail l'ouvre à une infinité de possibles, et d’incertitudes. »
Marco Godinho’s Written by Water, photo credit: Estelle Vétois
En conclusion, Ralph Rugoff a tenu à répéter que « l’art témoigne de ce qui se passe dans le monde », et nous voyons que ce témoin pénètre dans chaque pavillon, pas seulement dans l'exposition internationale, mais dans l'esprit de tous les commissaires, ayant à cœur de témoigner de réalités diverses et complexes.
Le niveau de l'eau montant chaque jour un peu plus, le travail de Marco Godinho restera dans nos mémoires bien au-delà de la biennale, de même que les mots de Ralph Rugoff ; le monde de l'art sera témoin des changements de notre monde, politiquement, et littéralement.