« For Family Reasons » | Quand les histoires familiales passent les portes du musée

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How to Make a Bed by Péter Puklus, laser prints and bed, detail, photo credit: Biro Dávid
En Hongrie, la phrase « Családi okok miatt » (pour des raisons familiales) permet de rapidement couper court à toute discussion.

 

C'est aujourd'hui le titre d'une exposition organisée au MODEM Modern Contemporary Arts Centre de Debrecen, sous le commissariat de Tamás Don. Le lieu phare de la création contemporaine dans la ville — la plus importante du pays après Budapest —, aborde un sujet qui nous concerne tous : les relations familiales, et les relations plus ou moins bonnes qu'elle fait naître.

 

J'ai récemment eu l'occasion de me rendre à Debrecen pour visiter l’exposition et échanger avec la curatrice. Le titre, « For Family Reasons », est initialement issu d'une phrase utilisée dans les carnets de liaisons scolaires hongrois: « Je certifie pour des raisons familiales que mon enfant… ». Cette phrase est un prétexte courant pour les enfants qui manquent l'école, et touche à une frontière difficile à franchir pour le personnel scolaire ne souhaitant pas offenser ou mettre mal à l’aise l'élève. « En Hongrie, les habitudes de visite d'institutions d'art contemporain sont très différentes de celles d'Europe occidentale. Ici, beaucoup de gens ont peur de l'art contemporain parce qu'ils pensent que c'est quelque chose d'incompréhensible et que seul un très petit groupe snob peut le comprendre. Je pensais qu'il était très important de choisir un sujet qui soit familier à tout le monde car tout le monde a une expérience ou une histoire qui est liée à sa famille », explique Tamás Don.

 

 

Exhibition view, photo credit: Biro Dávid

 

En entrant dans l’exposition, un cercle de chaises nous plonge immédiatement dans l'ambiance familiale, aussi bien via la disposition en « cercle », que par le style de chaise, associées à différentes étapes de la vie, d’une chaise de bébé à une rocking-chair. Dans la première partie, l’histoire de la famille en Hongrie, depuis le XIXe siècle est évoquée, abordant le sujet tabou de la violence domestique, souvent passée sous silence. Ici, le mur est littéralement en construction. Celui-ci, laissé brut avec des fenêtres découpées et des rideaux en dentelle, arbore une série de citations et de textes portant sur la violence conjugale. Le visiteur a la sensation de parcourir une maison de poupée d'un enfant, mais ici sont disposées, au bout de ce petit couloir, des brochures avec des informations de contact pour obtenir de l'aide de la NANE (Women's Rights Association).

 

 

Tamás Don nous détaille le processus de préparation de l'exposition : « Il était nécessaire pour moi de montrer un contexte social et psychologique propre à la famille et pas seulement des œuvres d'art abordant ce sujet. Ainsi, dans la première salle, le visiteur peut se plonger dans la dimension psychologique et sociale propre à la famille. J'ai travaillé pendant six mois avec le psychologue Anett Ragó et le sociologue Zsolt K.Horváth pour déterminer comment nous pourrions représenter ces questions. Pendant des mois, j'ai réfléchi à la manière dont je pourrais exposer la réponse à la question des violences domestiques. J'ai finalement demandé à Csönge Balla, qui a étudié la sociologie et l'art, de créer cette partie de l'exposition. Tout d’abord, nous avons demandé à collaborer avec Child Welfare de Debrecen et la NANE (Association des droits des femmes), car il était très important pour nous de travailler avec des personnes et des institutions expertes en matière de violence domestique. »

 

Exhibition detail, photo credit: Anne Murray

 

Cette question a ici une place primordiale, car l'exposition concède que lorsqu'est abordé le sujet de la famille, la violence domestique est en général négligée. Les citations et les textes traitent de la violence verbale, physique, et sexuelle, allant jusqu'à la négligence, précisant que la violence prend de nombreuses formes et va bien au-delà de la violence physique, mais qu'elle prend également des formes économiques, sociales...

 

La salle suivante présente des poèmes, les visiteurs étant invités à repartir avec leurs propres copies, les texte étant traduits en hongrois et en anglais. Quant au choix des artistes, Don nous explique : « Vous savez, la scène artistique hongroise n’est pas très grande, par conséquent, un curateur connaît déjà les artistes qui traitent d’histoires sociales ou privées, liées d’une certaine manière à la famille. Pour des raisons familiales, il comporte quatre parties. Dans la deuxième, j'ai dressé une liste complète des poèmes contemporains hongrois, qui portaient sur la famille. Il était important pour moi de ne pas avoir uniquement des artistes visuels, mais également des musiciens et un cinéaste. J'ai invité six artistes à choisir l'un de ces poèmes et à faire une œuvre qui lui soit liée. C'était essentiel, car lorsque j'ai commencé à réfléchir à cette exposition, je me suis inspiré de la littérature. Je voulais que les artistes créent de nouvelles œuvres qui ne soient pas des illustrations de poèmes, mais des œuvres d'art distinctes inspirées par ceux-ci. »

 

Exhibition curator, Tamás Don, photo credit: Biro Dávid


 

S'étendant sur un mur entier et une partie du sol, l'œuvre de Péter Puklus, How to Make a Bed,  relational in its storytelling and impact.. Un matelas avec un drap-housse gris, un oreiller et une couette, donnant l'impression qu'une personne vient de se lever, sont disposés à proximité d'un mur recouvert d'une série de grandes photographies en noir et blanc d'un homme déposant des draps sur le lit . La description au mur explique qu'il s'agit d'une tâche traditionnellement faite par les femmes, et la surprise est de voir un homme assumer ce travail. L'accent est ici mis sur le lit conjugal en tant que lieu de rencontre où le couple apprends à se connaître. Un des textes du mur explique qu'aujourd'hui, 50% des mariages en Hongrie se terminent par un divorce.


 

Ci-dessous un poème de Turi Tímea Családi Kűr (Family Freestyle) traduit en anglais par Kiss-Süli 

 

Men are not even at home 

when they are. Women 

are still at home when they are not.

They never fall in love at home.

Mum and dad, embracing each other, 

pretend not to see one another.

 

« For Family Reasons » présente également des œuvres réalisées par des artistes locaux. « Dans la toute dernière partie, nous avons créé un atelier avec Péter Szabó-Pettendi afin de traiter des histoires et des souvenirs de famille des habitants de la région. Pendant six mois, nous avons organisé des rencontres pendant cinq heures. Chaque participant a apporté des photos et des récits liés à sa propre famille. Peter a dirigé les ateliers, il a montré aux participants des œuvres d'art et des films sur le sujet et il a aidé tout le monde à comprendre comment exposer leurs idées et leurs visions. »


 

Incompetence by Éliás Tamás, 2019, video and graphic, photo credit: Anne Murray

 

L'exposition examine une variété de concepts liés à la mémoire, aux souvenirs, notamment liés à des objets, qui sont particulièrement pertinents dans l'optique de la famille et des objets transmis de générations en générations, mais également le nom de famille, qui peut avoir un poids culturel important. Interrogé sur ce que Don attendait de l'exposition, il a répondu franchement: « Malheureusement, je suis réaliste et je ne m'attends à rien. Bien sûr, quelques centaines, voire un millier de personnes verront l'exposition et j'espère du fond du cœur qu'elles l'aimeront. Si mon concept fonctionne, ils y penseront, peut-être en informeront-ils leurs amis. C'est très bien. Certains critiques écriront peut-être sur l'exposition et dans quelques années, si quelqu'un se souvient de certaines œuvres ou d'une partie de cette exposition, cela en aura valu la peine. »  

 

Exhibition view, photo credit: Biro Dávid

 

 

L'exposition est à découvrir jusqu'au 3 novembre 2019 au MODEM Modern and Contemporary Arts Centre

 

Artistes:

Áfra János, Balogh Viktória, Esterházy Marcell, Kocsi Olga, Kemény Lili, Kolos Ádám, Maria Lima Victor, Nagy Csilla, Nemes Csaba, Németh Ilona, Oravecz Imre, Puklus Péter, Schuller Judit Flóra, Sallai László és Szabó Benedek, Szász Lilla, Turi Tímea & Závada Péter

 

Le workshop a été mené par  Pettendi Szabó Péter | Participants: Boros Dorina, Éliás Tamás, Dr. Fegyveres Mária, Gellén József, Hofgárt Károly, Horog Máté, Dr. Keszeg Anna, Kun Ágnes Laura

Experts: K. Horváth Zsolt, Ragó Anett. Le design du bloc des violences domestiques a été réalisé par : Balla Csönge

 

Professional partner:

DMJV Család-és Gyermekjóléti Központja