Dynamique et réfléchie : les clés du succès de l'Ani Molnár Gallery

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Photo credit Eszter Lázár, Photo of Annamaria Molnár
À Budapest, la galerie Ani Molnár offre depuis une décennie un environnement privilégié à ses collectionneurs.

 

Son travail, mettant en lumière des artistes émergents et plus établis, a été salué par la scène artistique internationale. La directrice et fondatrice de la galerie, Annamamia Molnár, a ainsi été récompensée en 2013 par le prestigieux Prix de l'innovation et de la créativité décerné par la F.E.A.G.A. (Fédération des associations européennes de galeries d’art), rendant hommage aux galeries exceptionnelles et au soutien qu’elles apportent aux artistes qu’elles représentent. 


 

Présente à Budapest, j'ai eu l'occasion d'échanger avec Annamária Molnár, et de découvrir la dernière exposition proposée au sein de son espace. Diplômée d'économie de l'Université Corvinus, la galeriste explique que dans sa première vie d'économiste, « il lui manquait vraiment cet enthousiasme intellectuel que l'art peut offrir. C’est une entreprise tout à fait unique avec des règles du jeu singulières et une forme de de mission culturelle. Cependant, cela reste un business à la fin de la journée. Nous représentons des artistes, nous soutenons leur carrière et vendons leurs œuvres. » Jugeant que « cela nécessite un vrai temps d'apprentissage, Annamária Molnár nous explique avoir « organisé des expositions et des projets en tant que commissaire indépendante, alors que je travaillais dans l’immobilier et les banques internationales pendant une dizaine d’années avant d’ouvrir la galerie. Lorsque le bon moment est enfin arrivé, j'avais également la ferme intention de créer ma propre entreprise et de me mettre à l'épreuve en tant qu'entrepreneur. »

 

 

Radenko Milak&Roman Uranjek: 30. December 2018 (Masereel-Matisse), 2018, Mixed Media, 135 x 212 cm, Photo credit: Matija Pavlovec, Courtesy of Ani Molnár Gallery

 

Dans une ville où l'offre culturelle demeure très importante — chaque année la Nuit des musées associe 114 institutions —,  et diverses, la qualité et la pérennité des galeries n'atteint pas encore celle des musées. « Nous avons un marché de l'art actif avec un nombre croissant de collectionneurs, nous avons également une foire, Art Market Budapest, et un week-end annuel des galeries. Malgré toutes ces initiatives, ce marché est encore relativement petit. Il est par ailleurs intéressant de constater que de nombreux des collectionneurs très actifs au moment de l'ouverture de ma galerie sont aujourd'hui moins prêts à acheter, mais que parallèlement, de nouveaux collectionneurs apparaissent, principalement issus des plus jeunes générations. Le travail d'éducation que doivent réaliser les galeries restera toujours plus important dans les pays d’Europe de l’Est que dans les grandes capitales de l’art pour compenser les quatre décennies perdues sur le marché de l’art liées à  l’ère socialiste. Nous devons encore éduquer les collectionneurs qui envisagent de créer une collection ou qui souhaitent acheter de l'art contemporain. Il y a encore beaucoup de travail. »

 

Radenko Milak&Roman Uranjek: DATES 9, interior photo, photo credit: Eszter Lázár, Courtesy of Ani Molnár Gallery

 

 

Plusieurs artistes de la galerie ont été récompensés et ont acquis une visibilité importante sur la scène internationale au cours des dernières années. J'ai demandé à Annamária Molnár d'expliquer ses objectifs en tant que directrice de galerie en termes de développement et de soutien des artistes. 

 

« Dès le départ, il était extrêmement important pour moi d'aller à l'étranger et d'être constamment présente sur la scène internationale. Pour une galerie, la meilleure option est de participer à des foires internationales, car il s'agit de l'une des promotions les plus efficaces que nous puissions offrir à nos artistes, car ils y bénéficient d'une visibilité et de contacts vraiment formidables. Ces plateformes permettent de rencontrer régulièrement des curateurs et autres acteurs, donnant aux artistes l'opportunité d'être accueillis au sein de résidences ou de recevoir des prix. Récemment, Sári Ember a reçu le Campari Award à Artissima à Turin en 2017, et Péter Forgács l'Art Acquisition Award à la LOOP Barcelona Video Fair en 2018. » Pour les artistes établis tels Péter Forgács ou émergents tels Sári Ember, ces récompenses ont eu plusieurs conséquences très positives. L'œuvre du premier a ainsi rejoint les collections du MACBA de Barcelone. Concernant Sári Ember, « cela lui a apporté du prestige et de la visibilité, mais le plus important a été de bénéficier d'une exposition personnelle à Milan à la Campari Gallery, organisée par Ilaria Bonacossa. Cette présence à l’étranger est indispensable, car je ne pense pas qu'une scène artistique locale puisse offrir tous les leviers nécessaires au développement de la carrière de ces artistes ambitieux. » 

 

Annamária Molnár confirme ainsi ce qui est souvent dit dans le monde de l'art: « Cultiver des contacts personnels est très important », et « si un artiste est bon et persistant, il aura des opportunités ».


 

Pour ce qui est des conseils à donner aux artistes émergents et établis hongrois ,cherchant à développer leurs marchés, Annamária Molnár cite un ouvrage récemment publié, Being an Artist - Contemporary Booklet for Artists, auquel elle a collaboré avec d'autres professionnels. « Dans les universités d'art hongroises, les cours ne sont pas assez centrés sur le marché et les moyens de se rapprocher des galeries. Pour les artistes qui ont réellement l’ambition d’être présents sur la scène internationale, il est essentiel de pouvoir être représenté par une galerie, celle-ci peut apporter un soutien qu'il n'est pas possible d'obtenir sur la scène artistique locale. Cependant, cela ne résout pas tout ; les artistes doivent également se donner les moyens d'exposer au sein d'institutions à but non lucratif, solliciter des résidences et des bourses, travailler sur de nombreux projets. »


 

La galerie représente également Tamás Waliczky, qui représentait cette année la Hongrie à Venise. « Je suis très heureuse que Tamás Waliczky ait eu la possibilité d'exposer à la Biennale de Venise cette année. Depuis les années 80, il mène une belle carrière en tant que pionnier des nouveaux médias. Il fait partie de ces artistes qui ont commencé à travailler avec un ordinateur dans les années 80 et, en 1989, il avait déjà remporté le prestigieux prix Ars Electronica. »  Annamária Molnár insiste sur l'importance de son exposition au sein de la galerie et sa sélection pour le pavillon — « C’était sa première exposition personnelle dans une galerie en Hongrie et le processus de candidature pour la biennale s’est déroulé exactement au même moment. »


 

L'exposition proposée actuellement à la galerie offre une collaboration entre les artistes Radenko Milak et Roman Uranjek, intitulée DATES 9. La galeriste avait précédemment organisé le commissariat d'une exposition réunissant le travail des artistes à Ljubljana en 2016, au sein de la galerie Galerija Fotografija de Barbara Ceferin. Radenko Milak a représenté la Bosnie-Herzégovine à la 57e Biennale de Venise avec le projet intitulé University of Disaster, dans lequel il a collaboré avec plusieurs autres artistes, dont Roman Uranjek, l'un des fondateurs du légendaire groupe IRWIN. Les deux artistes sont originaires d'ex-Yougoslavie, bien qu'ils soient de générations et de lieux différents. Ils ont découvert des liens entre leurs productions, les conduisant à entamer une collaboration en 2014. Dans cette exposition, leur tout premier travail collaboratif est présenté aux côtés de nombreuses nouvelles œuvres et de quelques pièces individuelles.


 

Annamária Molnár nous détaille leur processus de collaboration : « Radenko Milak représente dans ses peintures certains moments de l'histoire de l'art, associés à une journée spécifique. L'artiste lutte contre l'amnésie individuelle et historique en rassemblant et en recréant des images emblématiques illustrant des événements déterminants de l'histoire. Il envoie ensuite les peintures à Roman Uranjek qui réagit à travers un collage. Roman sélectionne une pièce de son archive spéciale At least one cross a day, entamée le 1er janvier 2002, au moment de l'introduction de l'€uro en Europe. 

 

 

Radenko Milak&Roman Uranjek: 13. June 2007 (Ad Reinhardt), 2018, Mixed Media, 70,5 x 90 cm, Photo credit: Matija Pavlovec, Courtesy of Ani Molnár Gallery

 

 

Le projet présenté dans la galerie se concentre sur des archives photographiques du XXe siècle, que les artistes ont trouvées, manipulées et contextualisées, offrant un témoignage politique et sociologique de leur propre production et de l'histoire de leur pays. Si les deux artistes laissent le spectateur interpréter librement leur travail, des indices sont disséminés. « Ils ne veulent pas donner d’explications précises, ils encouragent le public à y réfléchir, c’est comme un puzzle », explique Annamária Molnár.

 

Quant à la difficile équation financière, la galeriste nous confirme que cela demeure une activité « très risquée et très volatile. Nous nous intéressons toujours principalement à la jeune génération, et quand vous commencez avec un artiste émergent, vous ne savez jamais comment son marché va évoluer. J'ai eu de très bonnes expériences, d'autres moins positives... Le marché de l'art en Hongrie n'est pas encore assez important pour offrir des financements réguliers permettant la production de catalogues, la tenue de foires etc. En règle générale, la position des galeries de petite taille et de niveau intermédiaire est la plus difficile, alors que les méga-galeries s'en sortent très bien. Ce problème ne se limite donc pas à notre région. De plus, je pense que la qualité de l'environnement institutionnel, les événements organisés en coopération contribuent à nourrir une scène artistique locale, et nous devrions également faire beaucoup mieux en Hongrie. 


 

L'exposition actuelle se tient jusqu'au 5 octobre.