Ce dernier s'était arrêté un soir au sein du pavillon nomade non officiel — une série de projections d’œuvres — que je présentais sur les murs extérieurs du palais des Doges. C'est à cette occasion qu'il m'a expliqué présenter son travail au sein de Venice Design 2019, dont la 4e édition se tient au Palazzo Michiel.
Curieuse, j'étais sur place dès le lendemain. 60 designers originaires d'une trentaine de pays différents y présentent des œuvres d'une grande diversité. Ici, le design peut être intelligent et interactif, il peut être strictement abordé comme une pratique artistique, en dépassant la dimension esthétique et centré sur l’être humain. La pratique aborde ainsi des questions aussi diverses que l’identité de genre dans la mode, la pollution atmosphérique, ou allant plus loin, une table où les assiettes et les couverts sont utilisés comme des instruments, permettant de partager un repas sonore. L’œuvre de Joca Van Der Horst, Onda, esthétique et fonctionnelle, se trouve dans la salle centrale du Palazzo. Elle consiste en des vagues concentriques ondulantes sur un tissu, au design épuré, le tout étant encadré, laissant penser qu'il s'agit d'une peinture.
Onda est fabriquée à partir de textile recouvert de dioxyde de titane dopé au cuivre, agissant comme un purificateur d'air. Cette œuvre textile unique utilise la lumière du jour pour transformer la suie et d’autres polluants en ... molécules d’eau. L’œuvre doit être touchée lorsqu’elle est installée dans la maison, car le fait d’appuyer sur le tissu active une lumière, ce qui indique de manière semi-stroboscopique une mauvaise qualité de l’air ou un léger scintillement, tel une flamme de bougie, ce qui indique que l’air est pur. Cette lumière UV scintillante permet également une purification supplémentaire de l'air lorsqu’elle est activée.
Joca Van Der Horst s'est formé à la Eindhoven University of Technology and Rotterdam Arts Academy. « Je travaille entre l'art, la technologie et le design d'interactions. Je m'intéresse à la manière dont les gens interagissent avec la technologie et à la manière dont cette même technologie peut être un moyen de mettre en lumière un sujet en particulier. Dans le cas d’Onda, c’est la qualité de l’air de notre maison, et cela ne consiste pas seulement à l'améliorer, mais aussi à le mettre en évidence lorsque des personnes touchent le tissu. Ce qui me plaît dans la communauté du design aux Pays-Bas, c'est que les gens aiment collaborer entre toutes les disciplines. J'ai beaucoup appris en travaillant avec des ingénieurs, des étudiants en mode, etc. Ils offrent tous une perspective différente sur monde. »
Intriguée par le nom Onda et curieuse d'en savoir davantage sur l'origine de ce projet Joca Van Der Horst m'a précisé son projet : « Ce qui est intéressant ici, c'est que le processus de purification de l'air est invisible et silencieux. Donc, ce que je voulais faire avec Onda, c'était créer une métaphore visible de l'air pur. J'ai trouvé l'idée des vagues intéressante, car elles ont un lien avec la fraîcheur. Dans le même temps, les nanoparticules tirent leur énergie de la lumière, qui voyage dans les ondes de l'air. Le nom et le motif sont le résultat de cette réflexion, car Onda est la traduction en portugais de Vague et que le motif est basé sur le graphe modifié de la formule sinus, la manière mathématique de décrire une onde. »
« Au cours de mes recherches, j'ai découvert une équipe travaillant dans un autre département de l'université sur des nano-revêtements qui nettoient l'air à l'aide de la lumière visible. Si dans leur cas le processus était appliqué sur du béton, j'ai pensé que l'utilisation de ces revêtements sur une peinture textile pourrait être un moyen de présenter cette technologie à un public plus large. » Une belle illustration de l'association efficace entre artistes , designers, scientifiques et chercheurs.
« Au cours du processus de création d'Onda, je me suis de plus en plus intéressée à la question de la purification de l'air. J'ai réalisé ce projet dans le département dit "smart textiles" de mon université et je voyais un contraste frappant entre les purificateurs d’air proposés sur le marché et la manière subtile d’intégrer la technologie à la maison lorsqu’elle est associée au tissu. La qualité de l'air extérieur est régulièrement discutée, mais on ne porte pas assez d'attention à celle au sein des habitations » poursuit Joca Van Der Horst. En réfléchissant à ma propre expérience dans différents pays, je pense immédiatement à Shanghai où j'ai été enseignant ou même à Pékin. L'idée est ici d'associer esthétique et utilité au cœur des maisons. Je me souviens qu'il y a quelques années, les enseignants étrangers installés à Shanghai avaient manifesté un vrai intérêt pour ces outils. L’indice de qualité de l’air dépassait les 500. Les purificateurs d’air étaient rares et il y avait même des listes d'attente pour obtenir les derniers modèles abordables. »
Quant aux autres œuvres ayant inspiré Joca Van Der Horst, il mentionne les PM2.5 Pollutant Soap de Jihee Moon du Royal College of Art. « Dans ce projet, la pollution de l'air est rendue visible en étant collectée dans des savons spéciaux. »
Lorsque je l'interroge sur sa vision du design, Joca Van Der Horst mentionne le livre Looks Good Feels Good Is Good, « dans lequel la designer Amy Franceschini utilise une analogie vraiment intéressante pour décrire le processus de production : "Notre approche est une sorte de journalisme. Nous interrogeons le monde qui nous entoure et les systèmes qui le composent." »
Il semble que les artistes et designers soient souvent influencés par le hasard et la proximité avec d’autres esprits créatifs confirme Joca Van Der Horst, tout en me racontant la naissance « accidentelle » d'Onda : « J'ai découvert la recherche sur les nanoparticules et ce fut alors le début d'un tout nouveau projet. Parfois, cela peut être aussi simple que de tomber par hasard sur la bonne personne, ou le bon PDF ! Mais si là j'évoque la chance, elle se provoque, en étant dans le bon environnement. C'est le cas à Eindhoven. »
Les itinéraires permettant aux artistes et designers de jouir de toutes les opportunités offertes par Venise sont divers. En ce qui concerne Van Der Horst, il m'explique avoir « reçu une invitation à montrer Onda à l'exposition. « C'est grâce au soutien de l'université d'Eindhoven et du Creative Industries Fund NL que j'ai pu participer à ce projet. Venice Design est une excellente initiative car elle met en contact de jeunes designers du monde entier. C'est une plate-forme fantastique pour présenter Onda à un public divers et intéressé. Pour le moment, Onda est encore un prototype et cette exposition pourrait bien être l'occasion de passer à l'étape suivante. Par exemple, en lançant une production à petite échelle avec l'aide d'un partenaire. » Quant à moi, j'espère bien avoir un jour l'occasion d'utiliserOnda, une manière de contrôler la qualité de l'air tout en soutenant ce pont entre art, design et technologie.
Pour en découvrir davantage sur le travail de Joca van der Horst, c'est ici.
Par Anne Murray