Car c'est aussi à Montpellier que l'organisation Mécènes du Sud a décidé d'accueillir une sélection d’œuvres issues de la Collection Famille Servais (Bruxelles), par ailleurs membre de son comité artistique. Dans une démarche de collectionneur différente de celle de l'entrepreneur japonais Yasuharu Ishikawa, mis à l'honneur au MO.CO, Alain Servais propose au public vingt œuvres dans un accrochage chronologique, une forme de rétrospective de collection, par année d’acquisition, de 1999 à 2018.
Daniela Ortiz: FDTD (Forcible Drugging To Deport) (2012/2016)
Les premières oeuvres, qu'il s'agisse de celles de Cindy Sherman, d'Andres Serrano ou de Bjarne Melgaard, rendent compte de façon parfois provocatrice ou subversive, de la porosité jusqu'alors inédite des frontières entre l'intime et le monde extérieur. Makoto Aida, lui, se saisit du spectre des pénuries alimentaires et des réponses technologiques attendues. Puis ce sont les problématiques sociales qui apparaissent avec les oeuvres de Ariel Orozco ou Mickalene Thomas. Dans la suite de l'exposition, les œuvres présentées portent graduellement un regard de plus en plus sombre sur l'état du monde, que cela soit à travers l'œuvre de Regina José Galindo, ou celle — glaçante — de Daniela Ortiz.
Cette exposition « chronologique » d’une acquisition par an a en effet été pour moi l’occasion de conscientiser cette évolution « inconsciente » de la collection. Mais plutôt que parler de subversif et de provocation, je dirais qu’un objet important de la collection à ses débuts était le rapport au corps tel qu’il était socialement « accepté ». A partir de là, l’évolution vers des questions sociales n’était que naturelle.
Regina José Galindo, quién puede borrar las huellas? (2003)
Au moment de vos premières acquisitions, avez vous pensé à une logique de long terme, à donner immédiatement un sens à votre collection ? Vous-tourniez vous davantage vers des artistes dont la légitimité dans le monde de l'art était déjà assurée ?
J’aime une citation de la célèbre critique du Financial Times, Jackie Wullschlager lors de l’ouverture du Palazzo Grassi : « Like all personal collections, the strength of Where Are We Going? lies in the projection through objects of one (rich and powerful) man’s vision of the world. » D’une manière plus modeste, j’espère que certains seront intéressés par ma vision du monde telle qu’exprimée par les œuvres que j’ai choisies. Cette expression est l'une des raisons d’être de la collection depuis les œuvres d’artistes émergents jusqu’aux « maîtres » reconnus.
La manière dont les cartels, et l'ensemble de l'exposition sont organisés est vraiment intéressante. Vous êtes légitimement critique en visitant des expositions au sein d'institutions qui affichent le nom de la galerie où l'œuvre a été acquise. Comment freiner cette logique perverse amenant à un effacement des frontières entre marché et institutions ?
Je ne crois pas qu’il soit encore possible de revenir en arrière sur ce processus de « privatisation » de la culture, conséquence directe du retrait des institutions publiques confrontées à des difficultés de financement. Comme je l’ai écrit en 2014 déjà, la question qui se pose à présent est de savoir comment préserver l'Art dans un contexte de financiarisation croissante de la création. Un peu plus de transparence sur le financement de l’art aiderait au moins à y ramener une éthique indispensable.
Alain Servais © Michel Loriaux (2017)
Au regard des difficultés à acquérir de nouvelles œuvres, les institutions publiques se tournent vers des collections privées. Quel impact sur la liberté, la soumission, des institutions face au marché de l'art ?
Le collectionneur propose et le musée dispose. Oui, le collectionneur a le pouvoir de l’argent mais le marché de l’art comprend très bien que seule la validation d’un artiste par les institutions lui assurera une place dans les livres d’Histoire et donc une base pour des transactions futures.
Institutions et collectionneurs doivent outrepasser les barrières idéologiques qui les séparent souvent pour collaborer avec le plus de transparence et d’éthique possible pour la préservation de l’art comme un reflet de la société dans lequel il a été créé.
Yoo Ji Seun. Sew Me #12 (2018) Courtesy the artist & Collection Famille Servais.
« Chaosmos X - Se souvenir de demain » — 27 juin - 29 septembre.