Décoloniser la Collection | Un séminaire expérimental à La Colonie

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photo credit Anne Murray, Zora Snake performing at La Colonie with Kader Attia stopping a taxi
Le 12 septembre, Kader Attia lançait une série d'événements et de discussions portant sur un sujet majeur : « Décoloniser la Collection. »

 

L'artiste exprimait ainsi sa position : « Il est à mon sens urgent d'engager une réflexion publique de fond et d'envergure sur la complexité de la question de la restitution des objets d’art anciens des cultures colonisées. D’abord parce que nous en sommes tous les descendants directs ou indirects, mais aussi parce que chaque objet est ce qu’il reste d’un membre manquant, celui d’un corps individuel et d’un corps social, qui l’a créé, l’a célébré, l’a craint, l’a aimé… Ce corps manquant, de quelque nature qu’il soit, appellera toujours réparation du traumatisme séparateur… »

 

Ce séminaire réunissait diverses personnalités sélectionnées par Kader Attia dans le but de présenter ce sujet de manière dynamique et contemporaine.

 

Pierre Amrouche, Expert en Art Africain, poète et photographe

Emmanuelle Cadet, Directrice d'Alter Natives


Noranou Correia, membre du groupe Zone de Contact group

Philippe Dagen, critique d'art


Clémentine Deliss, curatrice, publisher et historienne culturelle

Serge Guézo, prince d'Abomey


Monique Jeudy Ballini et Brigitte Derlon, ethnologistes


Olympe Lemut, journalist
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Silvie Memel Kassi, Directrice musée des Civilisations d'Abidjan

Steve Régis Kovo N’Sondé, philosophe


Luc Saucier, avocat

Zora Snake, performer


Laura Scemama, muséographe


Christine Théodore, psychologue et psychanalyste


Alain Vanier, psychanalyste


 

 

photo credit Anne Murray, Zora Snake performing at La Colonie

 

 

Au fil des neuf heures de discussions, d'un débat avec le public, d'une performance de l'artiste camerounais Zora Snake, dansant au milieu des voitures — pendant que Kader Attia bloquait un taxi devant La Colonie avant d'immortaliser l'événement avec son téléphone — cet espace était devenu un monde à part, où l'art est critiqué et analysé, un laboratoire.


 

Marchant sur le tapis rouge devant un public comme sur un défilé de mode, Snake continuait sa performance dans la pièce principale, son image et ses mouvements allant à l'inverse de ce que l'on attend d'un défilé de mode parisien. Son corps n'était recouvert que de sous-vêtements moulants sur lesquels était inscrit le mot Peppa, entouré de cœurs en coton rose. Mais l'humour semblait loin de cette démonstration vivifiante, alliant danse et art contemporain — ici, le corps de l'artiste suffisant à communiquer. La performance évoquait l'incroyable pouvoir des objets à nous rappeler des événements, à être des témoins d'une histoire commune. La performance perdait d'ailleurs à la fin son caractère éphémère avec l'installation de la croix au bout du tapis rouge, restée après le départ de l'artiste. Un collectionneur rêverait de s'emparer de cet objet, preuve que quelque chose de magique est survenu, l’artiste nous rappelant comment et pourquoi certains objets contiennent une sorte d’énergie, ici celle de la danse, de la musique et de son rythme. Il nous emmène dans une réalité unique et merveilleuse, vibrante et captivante.

 

 

photo credit Anne Murray, Steve Régis Kovo N’Sondé philosopher

 

 

Autre intervention, celle de Steve Régis Kovo N’Sondén combinant le Hip-Hop et une approche poétique et philosophique dans une performance captivante, quand la curatrice Clémentine Deliss présente son Manifeste pour le droit d'accès aux collections coloniales séquestrées en Europe de l'Ouest

 

Plus de plantations intellectuelles !

Plus de musées mimétiques !

Plus d'hégémonies esthétiques !

Plus de hiérarchies entre objets !

Plus de pyramides muséologiques !

« ... La clime absente… »

« Les restaurateurs inadéquats… »

Et cetera, et cetera...


 

Reprenons le contrôle de l’énergie Et du potentiel de ces réservoirs de la création !

 

Changeons l’ergonomie des musées : Ces accumulateurs d’orgone ! Ouvrons des musées universitaires !

 

Créons des lieux de recherche,

Des espaces d’intimité conceptuelle

Des sites de production transfrontalières,

De transgressions disciplinaires,

À partir de ces objets anxieux et contestés.

Des musées-universitaires

Qui accueillerons la nouvelle génération,

D’étudiants et de chercheurs

plus diasporique que jamais,

Avec leur politique de communication

Et leurs méthodologies futures.

Pour que, sur la base d’innovations brevetées

Dérivées de ces collections historiques occlus

Nous pourrions renommer les artistes exclus,

Et retourner le respect et les droits d’auteur

À leurs ancêtres !

Organes et alliances !

 

photo credit Anne Murray, curator Clémentine Deliss

 

Sa présentation vivante et passionnée donne ainsi une idée de la marche à suivre : créer des universités de musée, des lieux permettant un accès gratuit à ces objets, pour la recherche et l'étude, pour le bénéfice de tous. La journée réunissant des psychanalystes et même un avocat parlant de ce processus de restitution, cet événement ne faisant que commencer à créer un espace de dialogue ouvert portant sur les problèmes inhérents à  la réparation d'un passé colonial collectif.



 

Plus tard dans la journée, d'autres questions majeures étaient abordées :

 

Comment rendre une restitution possible ?

Qui possède vraiment des objets d'art anciens d'Afrique et d'ailleurs ?

La restitution peut-elle combler les blessures causées par la perte de ces objets et qui continue à hanter le psychisme des cultures dépossédées ?

Les collectionneurs africains sont-ils plus légitimes que les Occidentaux dans l’acquisition d’objets anciens lorsqu’ils ne les ramènent pas en Afrique ?


 

Ce 26 septembre une nouvelle discussion intitulée « Décolonisons les Arts » se tiendra.

 

 

photo credit Anne Murray, La Colonie

 

 

Anne Murray