Au-delà de la limite | Gideonsson/Londré à la Fundació Joan Miró

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Photo credit Anne Murray, installation view of I Am Vertical by Gideonsson/Londré
Entre défi, réflexion et introspection, l'installation vidéo I Am Vertical du duo d'artistes suédois Lisa Gideonsson & Gustaf Londré est à découvrir au sein de l'Espai 13 de la Fundació Joan Miró de Barcelone jusqu'au 11 septembre.

 

Les artistes travaillent ensemble depuis près d’une décennie et mettent l’accent sur l’unité de leur collaboration. « Pour nous, c'est vraiment important de ne jamais faire apparaître une dimension individuelle. Nous mettons en place différentes structures permettant de jouer le rôle de l’individu. C'est une partie cruciale du processus, qui prend beaucoup de temps, et nous ne créons jamais d'œuvres avant d'avoir atteint cet état », expliquent Gideonsson / Londré.

 

I Am Vertical traite de l'isolement et de l'état mental que rencontrent les personnes dépassant les 8.000 mètres au-dessus du niveau de la mer, une altitude que les alpinistes appellent la limite verticale, ou « zones de décès ». Les artistes explorent l'effet sur l'état mental du grimpeur atteignant cette zone. L'isolement, les changements propres à l'organisme ne sont pas sans conséquences.

 

La vidéo est centrale dans cette installation présentée dans l'Espai 13, un espace d'exposition situé en sous-sol — un détail qui n'en est pas un. Souhaitant donner l'impression d'une montagne renversée, les artistes ont attaché leurs chaussures au plafond, donnant la sensation que tout est à l'envers. Le spectateur y voit Lisa Gideonsson suspendue à une corde, la tête juste au-dessus du sol, essayant de lire à haute voix un texte posé sur le sol. L'artiste apparaît sur un grand écran dans une salle de formation, destinée à recréer les exigences physiques d’une montée au-dessus de la limite verticale.

 

 

Photo credit Anne Murray, performance, I Am Vertical by Gideonsson/Londré

 

L'artiste lit alors ce texte poétique, dans une position semblant aussi douloureuse que dangereuse. Gideonsson / Londré expliquent que leur travail porte notamment « sur une exploration des différents états alternatifs, et différentes expériences du temps. Pour nous, ces deux concepts sont très proches. L'expérience du temps semble être ce qui détermine également le reste de notre expérience et le sens de l'existence. Ce que nous proposons dans l’exposition, c’est une existence verticale, basée sur le temps, l’effort nécessaire à l'atteinte des hauteurs et des profondeurs ainsi que la « zone de mort » en tant que lieu, à la fois pour l’illumination mais aussi pour la destruction. Un autre aspect important de notre travail est la langue, en particulier l’écriture et la lecture en relation avec différentes structures performatives, qui est aussi généralement considérée comme une pratique horizontale. Dans cette exposition, nous voulions relier notre façon d’écrire et de lire à une réflexion verticale, et l’installation vidéo reflète ce processus de travail du langage à partir d’une position verticale difficile. »

 

Le nom de l'œuvre, I Am Vertical, provient d'un poème de Sylvia Plath. Extrapolant cette connexion, Gideonsson/Londré précisent que « le poème parle de la façon dont notre verticalité a séparé les humains du reste de la nature — ce qui est une revendication intéressante — et que notre tendance à la mort est aussi liée d'une certaine manière à notre désir d'être plus 'naturel'. Lisa Gideonsson lit la poésie pendant qu’elle est à l'envers, jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse, créant une mort simulée, étant engourdie, le sang s'agglomérant dans sa tête. Ce travail nous met au défi de comprendre nos propres risques et efforts dans la course à la vie vers la mort et les profondeurs et  hauteurs de l'expérience cognitive propre à ce voyage. »

 

 

Photo credit Anne Murray, Gideonsson/Londré et la curatrice Alexandra Laudo

 

 

L'exposition constitue la dernière partie d'un cycle d'un an mené par la conservatrice Alexandra Laudo, chaque exposition explorant les vues contemporaines de l'île et ses significations métaphoriques et physiques dans l'art et la société. « Il existe de nombreux aspects de l’île et ce qui nous intéressait dans la vision du cycle, c’était la possibilité de percevoir l’île plus comme une structure isolée. Utiliser l'île comme une façon de penser, plus qu'un lieu réel, et l'associer à notre processus et à notre méthode. Il est intéressant de considérer l'île comme un univers clos pour des expériences sociales, notamment en se basant sur l'utopie de Thomas More, établir notre propre structure, isolée. Les quatorze " zones de décès " sont devenues notre terrain d'expérimentation », expliquent Gideonsson / Londré. Sur le mur opposé au grand écran, les artistes ont créé une carte invisible utilisant uniquement des piqûres d'épingle sur du papier blanc, chaque minuscule trou représentant les 14 pics les plus verticaux du monde, ces îlots d'espaces inhabitables étant presque perdus dans la blancheur de l'image, à moins que l'on regarde très très attentivement.

 

L’exposition forme une installation unique, associant vidéo, performance et écriture, dépassant les frontières et limites, poussant non seulement les artistes eux-mêmes, mais aussi les spectateurs à voir et à interagir de différentes manières et à différentes hauteurs, via la structure en bois placée face à l’écran. « Un moment important de notre travail a été celui où nous avons commencé à partager un intérêt pour le dépassement des frontières existantes autour et entre nous. Cela a détourné notre attention de l'art, pour approfondir des domaines où cet effort de lutte est plus évident et nécessaire » expliquent Gideonsson / Londré.

 

S'inspirant non seulement de textes tels que la poésie de Sylvia Plath, mais aussi de leur environnement — ayant déménagé il y a trois ans près des montagnes —, les artistes expliquent : « Nous avons très vite compris que vous deviez toujours être reliés aux montagnes. Peut-être qu'en quelque sorte elles remplacent la relation de que certains peuvent avoir avec l'océan lorsqu'ils regardent l'horizon. Ici, la montagne est toujours la dernière chose que vous voyez, la plus éloignée. » Une vision poétique révélée ici, qui illustre et rappelle la nature métaphorique de leur travail.

 

 

“The Possibility of an Island” — Exhibition Program at Espai 13 at Fundació Joan Miró

 

 

Anne Murray