Alexandra Laudo | Carrière, désirs et conseils d'une curatrice

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Photo credit Anne Murray, visitor at the I Am Vertical exhibition ( The Possibility of an Island exhibition series) Espai 13 at Fundació Miró, Barcelona
À Barcelone, l'artiste Anne Murray a rencontré la curatrice Alexandra Laudo, récente lauréate du Caixa Forum Comisart prize pour les curateurs. Commissaire d'expositions au sein du Caixa Forum, de la Fundació Miró, ou encore La Capella, Alexandra Laudo est également fondatrice et Directrice d'Heroinas de la Cultura, plateforme dédiée au commissariat.

 

Quel était votre objectif principal avec l'exposition « A Certain Darkness » au Caixa Forum?

 

Je souhaitais réfléchir à la dimension hyper-visuelle de notre époque et penser de manière critique à notre relation aux images, mais je voulais le faire en donnant de la valeur au vide, à l'opacité, l'obscurité.


 

 

Et pour la série d'expositions « The Possibility of an Island » à la Fundació Joan Miró, quelle était votre intention ? Il y a t-il une relation entre l'approche des deux séries d'expositions ?

 

Dans la série d'expositions « The Possibility of an Island », je voulais inviter les artistes à réfléchir sur les significations symboliques et socioculturelles que les îles ont eu au fil du temps. Je pense que l'île, en tant qu'espace paradigmatique de notre imaginaire collectif, est associée à nombre de significations et de sens, certains même opposés l'un à l'autre. Les artistes qui ont participé à la série ont intégré la spécificité de leurs pratiques et leurs intérêts artistiques, ce qui a généré une diversité intéressante d'interprétations et de projets.
 

 

L'approche curatoriale de ce cycle a été très différente que celle d' « A Certain Darkness ». Dans la première, les artistes ont développé tous les nouveaux projets en réponse à la proposition, et ces projets ont été menés en tant qu'expositions monographiques.

 

 

A Certain Darkness, est quant à elle une exposition collective réunissant des œuvres déjà existantes. Lorsque vous invitez des artistes à mener de nouveaux projets, une grande partie de votre rôle de curateur consiste à les accompagner dans le processus de développement et de matérialisation de ce projet, ce qui est très différent que de travailler autour d'œuvres existantes. Dans ce cas, votre travail doit se concentrer davantage sur la relation entre ces œuvres, et sur la manière dont chacune contribue au message global.

 

 

Photo credit Anne Murray, Curator Alexandra Laudo in A Certain Darkness exhibition

 

 

Qu'est ce qui dans votre parcours a rendu votre vision si singulière et poignante ?

 

Je ne pense pas qu'elle soit si unique et poignante ! Mais au fil du temps j'ai remarqué que le fait d'avoir étudié les sciences humaines a sûrement influencé ma façon d'aborder le travail de curatrice. En sciences humaines, nous avons étudié beaucoup de choses : principalement la littérature, l'histoire de l'art, la philosophie et l'histoire ; mais aussi un peu de cinéma, de psychologie, d'anthropologie, de sociologie... Je crois que ces études m'ont donné la capacité de penser de manière transversale, et c'est quelque chose qui a influencé mon travail. En outre, en tant que curatrice, je m'intéresse beaucoup à la question narrative, à l'histoire, à la fois dans les œuvres et dans la formalisation des discours théoriques, et je pense que cela peut aussi être lié au fait que j'ai étudié différents sujets de la littérature.

 

 

 

Que diriez-vous aux artistes émergents pour les conseiller sur la recherche de nouvelles opportunités de montrer leur travail, pour obtenir une représentation dans les galeries, pour avoir des liens avec les musées et autres institutions?
 

Mmmm… C'est une question vraiment compliquée, parce qu'une carrière d'artiste n'est pas uniquement liée à la qualité et la maturité de l'œuvre, mais aussi à des paramètres sociaux, à une légitimation offerte par un parcours académique…. En fin de compte, c'est un système, avec ses codes, son fonctionnement particulier. J'imagine que ceux qui viennent à les comprendre et savoir en jouer ont in fine du succès.

 

Mais tout cela peut cependant être un peu cynique, donc ce que je recommanderais, c'est avant tout d'être constant, de proposer un travail continu, de penser à long terme et en même temps, aux enjeux immédiats, et d'être soi-même.

 


 

Quels sont vos objectifs personnels ? Comment votre carrière peut être avoir un réel impact sur le monde de l'art et au delà ?


Je pense que mes objectifs de carrière sont très personnels, émotifs ou affectifs. Quand je travaille, je ne cherche pas à devenir influente, je crois que par-dessus tout, je suis motivée par la recherche du sens, du savoir et de l'émotion. Bien sûr, j'aime partager mon travail, et je trouve cela satisfaisant d'être valorisée et reconnue, mais pour moi ce n'est pas un objectif. Mais oui, cela peut être une conséquence agréable !

 

C'est forcément valorisant  lorsqu'une exposition, une pensée que j'ai développée dans un texte, ou quelque chose que j'ai expliqué dans une visite guidée, devient significative pour quelqu'un. Je pense que c'est la plus belle influence à laquelle je puisse prétendre en tant que curatrice.

 

 

 

Vos objectifs concernent-ils également une dimension sociale, et le méliorisme ?

 

Essayer de vivre d'une manière éthique et essayer d'être une meilleure personne est quelque chose qui est important pour moi, pas en tant que curatrice mais en tant qu'être humain. Je veux penser que, par extension, ces valeurs sont également centrales dans mon activité professionnelle. Le progrès social passe par la somme des efforts individuels et quotidiens, mais je suis également consciente qu'une curatrice d'art contemporain n'a pas le pouvoir de contribuer de manière significative au progrès social et humain. Je défends fermement l'idée que l'art contemporain peut avoir un impact dans l'éducation et dans la société, mais je suis également consciente de ses limites, et c'est quelque chose qui ne peut être pertinent que dans certains contextes où les droits et les besoins fondamentaux sont couverts. C'est pourquoi, bien que j'aime beaucoup le travail que je fais et que je défende sa valeur sociale et culturelle, je sais aussi que c'est bien loin de l'action de ceux répondant aux graves problèmes sociaux.

 

 

Anne Murray