Kader Attia | Les cicatrices nous rappellent que notre passé est réel

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Photo credit Anne Murray, Open Your Eyes by Kader Attia
Pour son premier solo show en Espagne, à la Fundació Joan Miró, « Scars Remind Us that Our Past is Real », l'artiste franco-algérien Kader Attia marque de son empreinte la ville de Barcelone, où il a par le passé étudié. Consécutive au gain du Prix Joan Miró 2017 — doté de 70.000 € —, cette exposition est impressionnante, provocante et percutante.

 

À travers les œuvres qu'il a sélectionnées, Kader Attia nous fait pénétrer dans son monde, invitant le visiteur à partager son processus d'investigation et l'intimité de sa démarche artistique, à guérir les blessures historiques du colonialisme. Ici, il associe la sculpture, la projection de diapositives, la vidéo et la photographie, illustrant les récentes explorations de ses œuvres de 2009 à 2018, dont certaines ont été créées à Barcelone.

 

Photo credit Anne Murray, Kader Attia at his exhibition opening at Fundació Joan Miró

 

 

Dans l'œuvre multimédia Open Your Eyes (2009), composée de deux projections, l'artiste juxtapose des visages marqués et défigurés de soldats de la Première Guerre Mondiale — issus des archives du Historisches Museum de Francfort, du Musée du Service de Santé des Armées de Paris, et de la Wellcome Collection de Londres —, avec des sculptures africaines et des images de scarifications volontaires.

 

Ces diapositives témoignent des premières formes de chirurgie plastique ou, dans le cas des sculptures, de l'utilisation improvisée d'un objet ordinaire tel qu'un bouton pour remplacer un œil. Les joues déchirées et les visages piqués emprisonnent le spectateur, entre choc et soulagement, dans une catharsis cyclique remettant en cause la vision de la beauté qui nous est imposée dans de nombreuses parties du monde par des campagnes publicitaires et médiatiques. Grâce à cette association d'images, l'artiste nous amène à porter un regard plus profond, mettant en lumière une beauté innée propre à toute l'humanité, la beauté intérieure née de notre expérience, de la souffrance à la consolation. Kader Attia décrit une différence fondamentale entre la pratique et la pensée occidentales, et les sociétés africaine et asiatique : «...l'Occident moderne a toujours été gouverné par le principe que les blessures doivent disparaître lorsque nous réparons quelque chose, qui doit être effacé, dans les sociétés traditionnelles africaines ou asiatiques, par exemple, la réparation doit apparaître. »

 

 

Photo credit Anne Murray, detail of J’accuse by Kader Attia

 

Photo credit Anne Murray, detail of J’accuse by Kader Attia


 

Ici la réparation devient d'une importance archéologique, une preuve de ce qui s'est passé, mais également un signe que quelqu'un a pris soin d'assembler les pièces, de les examiner et de les rassembler, une tragédie du passé. Kader Attia combine les œuvres pour réparer l'histoire, reconstruire la mémoire et souligner la justice et la beauté de l'humanité sous toutes ses formes. Le visiteur parcourt plusieurs salles, et est frappé par la dimension triomphante et monumentale de l'œuvre J'accuse (2016), qui consiste en une douzaine de têtes sculptées en bois, dont les socles sont des armatures métalliques.

 


Les têtes se dressent au-dessus du spectateur, tournées vers une vidéo projetée du côté de la pièce la plus proche de l'entrée, accentuant la dimension impressionnante de l'œuvre. Puis en errant dans ce labyrinthe, on observe la vidéo par rapport aux œuvres. Ici saute aux yeux le chemin que l'artiste a pris pour voyager dans le temps, son observation, la logique de juxtaposition des images dans son travail et tout devient évident et clair. Les visages grotesques dans les photos d'Open Your Eyes sont maintenant des courbes et des ombres ondulantes, apparaissant dans leurs cicatrices et traits sculptés dans le bois, semblant être des divinités, surnaturelles et merveilleuses, élégantes et émotionnelles, avec leurs tons chauds de cèdre. Les têtes sont créées à partir d'arbres centenaires, et leurs traits transmettent un message de sagesse.

 

 

Photo credit Anne Murray, detail of J’accuse by Kader Attia

 

 

L'exposition comprend plus de vingt œuvres, abordant des sujets aussi divers que l'architecture, l'indépendance et le colonialisme, l'émotion, la réparation et la politique — l'artiste ayant organisé l'événement afin d'inviter le spectateur à entrer dans ses thèmes et ses recherches. Cette exposition ouvre des portes et fait naître le désir d'approfondir l'œuvre de Kader Attia.

 

 

15 juin — 30 septembre 2018 | Exposition organisée par la Fundació Joan Miró et Obra Social ”la Caixa”

 

 

Article d'Anne Murray