« J'avais cette idée en tête depuis le début, mais je voulais voir le résultat de la première édition à Londres, voir s'il y avait un réel intérêt, je n'en étais pas sûre » confie Touria El Glaoui, qui a lancé la manifestation il y cinq ans.
Si le nombre de galeries participantes est limité, le prix des stands est ici deux fois moins élevé que lors des autres éditions pour des espaces équivalents, soit autour de 7.000 €. Mais la réussite d'une foire c'est une alliance de nombreux facteurs : en Californie, où l'argent coule à flots, personne n'y arrive jusqu'alors, alors que la Frieze tentera sa chance en 2019. À Marrakech, l'une des villes qui compte la plus forte densité de palaces, Touria El Glaoui semble avoir réussi à mobiliser ce riche public, qui n'était jusqu'alors pas toujours porté sur la création contemporaine — mais aussi à attirer des curateurs internationaux de renom.
Safaa Erruas, Territories, 2017 — Galleria Officine dell’immagine
« C'est un grand succès pour nous, et j'imagine également pour les autres galeries. Nous avons reçu la visite de nombreux collectionneurs internationaux. En termes de ventes, c'est donc une vraie réussite, nous reviendrons donc très probablement l'an prochain ! » se réjouit ainsi Carlo Bonza - Directeur de la Galleria Officine dell’immagine de Milan, qui présentait le travail de Safaa Erruas, Mounir Fatmi, Safaa Erruas et Farah Khelil.
Les belles ventes confirmées par nombre de galeries s'expliquent aussi par des côtes « maîtrisées ». Ici, nombre d'œuvres se vendent ainsi entre 2.000 et 20.000 €. Loin des sommes évoquées sur nombre de marchés, éloignant ainsi le risque de bulle.
Galerie Cécile Fakhoury - Abidjan | François-Xavier Gbré & Dalila Dalléas
« Je pense être aujourd'hui dans une meilleure position, nous avons un groupe fidèle de galeries qui nous suivent à Londres et NYC, et qui viennent aujourd'hui ici. À New York, la foire touche cette audience de collectionneurs afro-américains non présents à Londres », poursuit Touria El Glaoui. L'idée est donc ici de rechercher une nouvelle population.
Ca va aller (2016), Joana Choumali
Sur le stand de la Loft Art Gallery de Casablanca, les regards étaient en partie tournés vers le travail de Joana Choumali — exposée sur le pavillon ivoirien lors de la dernière Biennale de Venise. La série ici présentée, Ça va aller, a pour base la souffrance des habitants de Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire, après l'attentat survenu en 2016. Dans un pays où la souffrance psychologique, interne, n'est pas considérée, ces photos sur lesquelles sont brodés formes et chemin illustrent le mal-être, tout en ayant une fonction curative pour l'artiste, qui traversait à ce moment là une période difficile. À moins de 1.800 €, tout a été vendu.
Chez Tiwani, les photos de Delio Jasse — présenté l'an dernier dans le cadre de l'exposition « Afrique Capitales » est remarqué. Le travail de l'artiste né en 1980 à Luanda (Angola) et installé à Milan a pour contexte son pays natal, et prend la forme de cyanotypes. Sur le stand de la jeune galerie — l'une des plus importantes à Londres spécialisées dans le marché africain — fut également présenté le travail de Walid Layadi-Marfouk, dont les clichés s'intéressent à l'image donnée de l'Islam dans les médias occidentaux.
Délio Jasse, Serie Urban landscape —Tiwani
Sur le continent, l'Afrique sud Sud — notamment grâce à l'ouverture du Zeitz MOCA, la présence de galeries de premier plan et le succès de la Cape Town Art Fair — est aujourd'hui devenue le véritable carrefour de la création africaine anglophone. Cet écosystème est primordial pour toute ville ayant l'ambition de devenir une place importante du marché de l'art. À Marrakech, la première édition de 1:54 correspondait au « second lancement » du Musée d'Art Contemporain Africain Al Maaden (MACAAL). Inaugurée en 2016 par le magnat de l’immobilier Alami Lazraq, l'institution propose jusqu'au 24 août prochain une superbe exposition « Africa Is No Island ».
Le développement de « l'offre muséale » locale, est ainsi au cœur du processus de diffusion de la création africaine, de sa légitimation — notamment à travers des partenariats avec des musées occidentaux.
Sous le commissariat de Jeanne Mercier, Baptiste de Ville d’Avray et Madeleine de Colnet, plus de 40 photographes « réinvestissent l’imaginaire lié au continent africain et abordent des problématiques culturelles universelles telles que la tradition, la spiritualité, la famille et l’environnement dans le cadre d’expériences quotidiennes et actuelles. » Parmi eux, notons l'artiste italien installé à Paris Nicola Lo Calzo — qui à travers sa série CASTA confronte une héritière d'une maison coloniale du Mississipi — célébrant encore la mémoire de ses ancêtres — avec les descendants des Créoles des colonies françaises. Notons également la présence d'Ayana V. Jackson, Walid Layadi-Marfouk, Hicham Benhoud ou Lebohang Kganye.
Nicola Lo Calzo, Casta
Cette première édition de 1:54 Marrakech est un un indéniable succès. Sur ces bases, dans un territoire où l'on aime les défis, le prochain sera de réussir à effacer petit à petit la distinction entre les artistes africains et « les autres », et qu'un jour, qui sait, tous ces artistes aient naturellement leur place au sein des expositions organisées à travers le monde — et plus seulement celles dédiées à « l'art africain ».