Les Arp en leur domaine

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Contrairement à d’autres couples d’artistes célèbres, celui que formèrent Hans Arp (1886-1966) et Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) reste aujourd’hui peu connu du grand public.

Né à Strasbourg, alors dans l’Empire allemand, Arp rencontre la Suissesse Sophie Taeuber à Zurich en 1915, date marquant le début de leur union tant artistique qu’affective. Jusqu’à la mort prématurée et accidentelle de Sophie Taeuber, le couple restera uni dans l’élaboration d’une oeuvre commune (textile, objets de bois tourné, tableaux), dans les manifestations du mouvement Dada à Zurich et partagera la même maison-atelier à Meudon-Clamart imaginée par Sophie Taeuber et investie par le couple dès 1929 ; cette maison est aujourd’hui le siège de la fondation Arp créée en 1978 par la seconde épouse de l’artiste Marguerite Arp-Hagenbach suivant le voeu de l’artiste qui souhaitait que son atelier conserve le fonds d’atelier du couple et soit accessible au public.

 

Vue de la fondation arp. Photo S. Tardy. Droits fondation arp.

 

En ce début de siècle, avant-gardes et mouvements artistiques éclosent à la faveur du nouveau XXe siècle qui s’annonce radical et dévastateur. Lorsqu’éclate la Première Guerre, Arp fuit l’Allemagne pour Paris et y fait la connaissance de camarades artistes et poètes qui resteront, malgré les destins tragiques de certains, de fidèles amis : Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pablo Picasso, Amedeo Modigliani… Proche du milieu ésotérico-philosophique de la Société théosophique d’Helena Blavatsky qui connaît un engouement certain dans les milieux artistiques européens, Hans (Jean) Arp réalise les décors du Centre théosophique de Paris et ceux du journal Le Théosophe.

 

Durant la décennie qui suit la fin de la Grande Guerre, le couple Arp-Taeuber fréquente activement les groupes Dada, constructiviste et surréaliste : participation de Arp au Salon Dada puis au congrès constructiviste de Weimar, signature du manifeste publié par Theo Van Doesburg dans la revue De Stijl, participation aux réunions surréalistes à Paris (en 1927, Arp expose à la Galerie Surréaliste et André Breton écrit la préface du catalogue).

 

 

Vues de l’exposition. Photo S. Tardy. Droits fondation arp.

 

Pour le couple, cette période est fertile tant dans la construction de leur alphabet plastique que de leur pensée intellectuelle. En 1926, Arp et Taeuber sont appelés à réaliser la décoration intérieure de l’Aubette à Strasbourg, en collaboration avec Van Doesburg. Trois ans plus tard, le couple rejoint Cercle et Carré, prémice d’Abstraction-Création qui donnera naissance au salon des Réalités nouvelles en 1946.

 

Jean Arp, Du pays de Thalès, 1954. Plâtre, gomme-laqué, 23,5 x 28 x 27 cm. Photo J.P. Pichon. Droits fondation arp.

 

Arp revient à la sculpture en 1930, vingt ans après l’avoir abandonnée pour se consacrer à la peinture, au bois sculpté et à l’enseignement. Le retour à la ronde-bosse a lieu quelques années après la découverte en 1925-1926 de l’Italie et des sites antiques de Rome, Paestum et Pompéi. Puis en 1952 et 1955, Arp découvre la Grèce dont il rapporte un nouveau panthéon plastique influencé par la mythologie et la cosmologie qu’il transcrit en formes épurées et lisses. La civilisation gréco-romaine n’est pas la seule source d’inspiration pour l’artiste puisque l’on découvre que l’écriture (rongorongo) découverte sur l’île de Pâques fut également sollicitée pour le répertoire formel de l’artiste. Restée indéchiffrable à ce jour, cette écriture-signe inspire à l’artiste de nouvelles formes.

 

Jean Arp, Ganymède, 1954. Photo J.P. Pichon. Droits fondation arp.

 

L’exposition en cours à la fondation, Arp mythique, Arp antique confronte le visiteur à la richesse iconologique réunie par Arp : statues grecques de déesses, dieux et muses, portraits imaginaires des grands penseurs grecs antiques (le philosophe et mathématicien Thalès, l’astronome Ptolémée), des déesses (les Trois Grâces, Demeter…).

 

À la mythologie grecque, Arp ajoute la mythologie égyptienne et tout ce qu’elle draine d’imaginaire et de mystère. Ainsi, cet Horus, grande huile sur toile, dieu à tête de faucon.

 

Jean Arp, Horus, 1964, huile sur toile, 200 x 40 cm. Photo J.P. Pichon. Droits fondation arp.

 

Pour l’artiste, « une œuvre, qui n’a pas sa racine dans le mythe, la poésie, qui ne participe pas à la profondeur, à l’essence de l’univers, n’est qu’un fantôme ».

 

En parallèle de l’exposition Arp mythique, Arp antique, le visiteur découvre également une collaboration de la fondation arp avec l’atelier de tapis contemporains Christopher Farr. À cette occasion, deux tapis ont été réalisés, Étude ligne, 1941 et Aubette Study. Ce dernier, tufté à la main, est réalisé à partir d’une étude gouachée pour le foyer-bar datée de 1926-1927, de Sophie Taueber-Arp pour la décoration de l’Aubette à Strasbourg, réalisée en collaboration avec Van Doesburg et Jean Arp.

 

Tapis Aubette Study, édité par Christopher Farr. Photo S. Tardy. Droits fondation arp.

 

Sont également réédités des bougeoirs en bois peint conçus par Sophie Taeuber-Arp en 1929 destinés à meubler la maison-atelier de Clamart.

 

Arp mythique, Arp antique. Le regard d’un artiste moderne sur les civilisations anciennes.

Commissariat : Mirela Ionesco, Chiara Jaeger et Sébastien Tardy

Fondation Arp, Clamart

Jusqu’au 23 novembre 2025

 

Image de couverture: Jean Arp, Pompéi, 1925. Droits fondation arp.

 

 

Clotilde Scordia