Sous un titre emprunté à une comptine pour enfant, « Tant que le loup n’y est pas », l’artiste a transformé la galerie en hivernage pour ses œuvres, un ensemble de cyanotypes marouflés sur bois et retravaillés au pastel, qui laissent apparaître feuillages, troncs etc… tout un vocabulaire de formes florales. La Bretagne, récemment touchée par deux violentes tempêtes successives, a subi de lourdes pertes, mais cela a permis à l’artiste de récupérer six grands troncs d’arbres déracinés par Ciaran qu’il a installés dans la galerie dont la hauteur sous charpente (en bois) est de près de sept mètres. Le sol en terre battue et les murs de pierres renforcent l’atmosphère d’hivernage souhaitée. Quand on pénètre dans la galerie, l’on découvre donc ces grandes branches et troncs prélevés par l’artiste dans la campagne environnante, sauvés de la coupe et du feu, et re-plantés au sein de l’espace d’exposition en dialogue avec les œuvres.
Doubles réels ou fantasmés, c’est au spectateur de se laisser aller à la rêverie dans ce lieu clos à l’abri des éléments. Être à l’abri, trouver refuge, est au cœur de la démarche de Théophile Brient, dans la lignée de ses recherches consacrées depuis ses études à l’ENSAD aux problématiques récurrentes de nos sociétés contemporaines, confrontées toujours plus violemment aux crises migratoires, climatiques, économiques, impérialistes… La peur grandissante de l’Homme face à un avenir de plus en plus incertain à l’ère anthropocène, aux conflits mortifères en cours sur la planète, aux crises économiques dues entre autres raisons à un capitalisme cannibale, pousse au retrait afin de se préserver. Mais où trouver refuge et s’isoler dans un monde où chaque mètre carré de territoire est connu et occupé ? Un seul endroit est encore épargné par l’occupation humaine et les normes sociales : la forêt, lieu hétérotopique par excellence. Porteuse de tout un imaginaire inquiétant, lieu de réclusion volontaire, la forêt accueille tous les rejetés de la société, les hors-la-loi, les hors-normes. C’est bien cela qui fascine autant que fait craindre dans l’imaginaire collectif.
Théophile Brient parle de camouflage, de dissimulation et même de mimesis dans cette optique de recréation d’un monde autre, similaire au monde réel, au monde des vivants, mais qui en réalité n’en serait qu’une imitation selon la conception aristotélicienne. C’est ce reflet que Théophile Brient nous donne à voir, avec sa subjectivité d’artiste. Imitation mais aussi dissimulation. L’ensemble des œuvres cyanotypiques dont la couleur, déclinée selon des camaïeux de bleus, est si caractéristique, témoigne du camouflage que permet la forêt. Un ton sur ton pour mieux se fondre dans un univers a priori semblable à la tenue camouflage ; la forêt comme refuge et abri à l’écart d’un centre urbanisé et répondant à un contrat normatif et sociétal tacite. Ici l’on pense aux survivalistes se préparant à la fin des temps dans des bunkers au fond de leur jardin ou construits dans l’isolement le plus total. Dans l’attente du loup évoqué dans le titre qui symbolise n’importe quelle menace (meurtre, guerre, épidémie, catastrophe naturelle, fin des temps…), le seul refuge envisageable serait la pénombre et l’isolement de la forêt.
À la fin du XIXe siècle, les botanistes font appel à la photographie pour classifier plus aisément les différentes plantes prélevées afin de les identifier. Ce procédé de reproduction permet une large diffusion des images à une époque où la taxonomie (étude des mondes vivants) est en plein essor. À la suite de la botaniste britannique Anna Atkins au XIXe siècle qui, la première, utilise le cyanotype pour classifier les différents types de plantes, Théophile Brient s’approprie à son tour ce procédé afin de laisser une trace de cette végétation éphémère vouée à une disparition tôt ou tard. Dans une réflexion percutante, l’artiste semble nous mettre en garde sur cette terre que l’on maltraite, ces forêts que l’on déboise de façon industrielle, ces hectares brûlés par le réchauffement climatique, autant de causes qui menacent la permanence de l’homme sur terre. L’hivernage, symbole de mise en retrait, de protection et dissimulation aux menaces qui pèsent sur la nature, est la proposition de l’artiste pour répondre à cette crise trop souvent négligée. Ainsi, tel le botaniste dans sa quête de typologie du végétal, l’artiste valorise le détail à son ensemble tout en y ajoutant lui-même ses propres détails par l’emploi du pastel ou du dessin. Ce geste de l’artiste sur la flore capturée sur cyanotype nous rappelle que l’ingérence de l’homme dans le processus du cycle de la nature n’est pas que néfaste.
Théophile Brient « Tant que le loup n’y est pas », jusqu’au 13 janvier 2024 à la Galerie Antoine Dupin.
Photos © Courtesy galerie Antoine Dupin