Les femmes dans le marché de l'art : Où en sommes nous ?

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A la Frieze cette semaine, les collectionneurs et curieux ne verront que 28 % * d’œuvres réalisées par des femmes, mettant une nouvelle fois en lumière les efforts restant à accomplir (et la volonté réelle du monde de l’art ) en termes d’égalité des genres.

Malgré les progrès réalisés lors des dernières décennies, et le travail de structures telles que l’A.I.R Gallery à New York, le paradoxe inhérent au monde de l’art persiste : parmi les artistes la proportion de femmes est plus importante ; pourtant les organismes dédiés à leur soutien sont toujours nécessaires, et les quelques artistes atteignant des prix records — parmi lesquelles Yayoi Kusama, Tracey Emin, Marlene Dumas, Cindy Sherman ou encore Marina Abramovic — ne sont pas représentatives de la situation globale.

Bien sûr, dans un monde idéal, l'art devrait être indifférent au genre : « Pourquoi ne voyons-nous pas d’articles sur les hommes artistes les plus talentueux ? C’est toujours "Les femmes artistes les plus talentueuses etc... En quoi est-ce important ? Pourquoi est-ce que cela doit entrer en ligne de compte ? Comme si nous n’étions pas assez bonnes pour être comparées avec les hommes. Ce sont des conneries », commente l'artiste Eda Soylu, faisant écho à l’avis de sa compatriote Jennifer Abessira : « Je n'ai jamais aimé l'idée d'une séparation entre l'art masculin et l’art féminin, mais je comprends qu'elle existe et je l'accepte. Je plaisante un peu de tout ça avec hastag # ThinkDifferentJen : J'utilise du rose afin de m'approprier des images ... mais je ne me vois pas comme une femme artiste. »




Yael Bartana — I am a feminist (2016) Courtesy SommerContemporaryArt



Lorsque l’on regarde les segments supérieurs du marché, la valeur d'une œuvre est définie par un certain nombre de facteurs, dont la relation entre la qualité et la demande; avoir été réalisée par une femme demeure un facteur négatif sur le prix d’une œuvre. Comme cela est souvent rappelé, l’œuvre la plus chère vendue par une femme artiste aux enchères est la toile de Georgia O’Keeffe, Weed/White Flower No.1, (1932) cédée pour 44,4 M$ chez Sotheby’s en 2014 — un quart de ce qu’a dépensé en 2015 le qatari Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani pour Les Femmes d'Alger (Version O) de Picasso — 179,4 M$.

Et si certaines situations peuvent prêter à sourire — la National Gallery of Art of Washington propose une exposition célébrant la carrière de la galeriste Virginia Dwan, qui est reconnue pour avoir favorisé la carrière de nombreux … hommes artistes dans les années 1960 —, les questions liées à la place des femmes sont réelles.

« Les difficultés rencontrées par les femmes artistes sont sérieuses. Bien que les femmes dominent la communauté artistique, leur acceptation est toujours difficile, surtout quand elles développent un discours politique ou quand elles produisent des œuvres touchant à des tabous », nous explique l’artiste Şükran Moral. En 2010, Şükran Moral a été forcée de quitter la Turquie à la suite de menaces de mort et a été victime de campagnes d'humiliation sur les réseaux sociaux. Son travail, qui traite de l'hypocrisie entourant l'égalité des sexes dans le monde de l'art, a été considéré comme tabou et à plusieurs reprises soumis à la censure.

Malgré des expositions telles « The Female Gaze », organisée par Cheim & Read et s’intéressant au problème de l'objectivation du corps féminin, et le développement d’expositions entièrement consacrées aux femmes, le travail des femmes est toujours vu avec une dimension politique, aussi bien pour les créatrices émergentes qu’établies. Les questions fâcheuses, dont l'inégalité salariale, la lutte contre le harcèlement sexuel, les conditions de travail sont loin d'être réglées.


Si les commentaires absurdes de Georg Baselitz sur la qualité intrinsèquement plus faible de l'art produit par les femmes peuvent encore être tenus en 2015, le chemin à parcourir est encore long. Daria Dorosh de l’A.I.R. Gallery — fondée en 1972 afin de promouvoir et soutenir le travail des femmes artistes —, est amère : le faible nombre de « grandes femmes artistes » est une question « dont tout le monde se fiche ». Nous savons maintenant que l'art est intégré dans l'économie et un ensemble de systèmes sociaux qui fonctionnent à travers la mise à l’écart des femmes. C’est un triste constat sur la condition humaine, il existe toujours une division femmes / hommes. »

Mais le changement tarde à venir, non seulement dans les galeries commerciales, mais aussi en ce qui concerne les conseils d'administration des musées ou les équipes des maisons de ventes : deux univers au sein desquels les femmes n’ont pas encore « eu leur tour ». En 2015, les femmes représentaient moins de 33 % des directeurs de musées pour les institutions ayant un budget de fonctionnement entre 20 et 100 M$, et … 0 % dans les musées ayant un budget supérieur à 100 M$.



HAPPENING
Speculum & Istanbul, 1997. Courtesy Galeri Zilberman / Şükran Moral


Dans le même temps, début octobre, lorsque nous écrivions cet article, des institutions telles le Centre Georges Pompidou et le Guggenheim n’avaient aucun solo show consacrés à des femmes. Le Whitney Museum de New York est l’unique institution à dimension mondiale à proposer dans le même temps deux expositions personnelles dédiées à des femmes. Dans ce tableau décidément sombre, le Whitney est une exception.


*Selon une étude réalisée par The Art Newspaper portant sur 10 galeries majeures au sein de la foire.