Curate It Yourself : Secouer les relations de pouvoir dans le monde de l'art

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Récemment, le curateur italien Francesco Bonami défrayait la chronique en déclarant que lors des dix dernières années, les curateurs étaient devenus « aveugles » et « avaient perdu le lien » avec le marché de l'art et la carrière des artistes. Dans une certaine mesure, Pietro della Giustina, président de Curate It Yourself, semble être sur la même longueur d'onde lorsqu'il nous dit que « de nos jours, les curateurs sont en quelque sorte forcés de prendre du recul : quand les artistes entrent dans de prestigieuses collections grâce à de grands collectionneurs, cela peut leur donner plus de légitimité que d'avoir été exposé par un curateur de renom. »

Inspirée par La Peau de l’Ours — un groupe de collectionneurs fondé en 1904 par André Level, qui a créé le premier fonds d'investissement spécialisé dans l'art —, l'association Curate It Yourself est née à Paris en 2015. À la base du projet, la volonté de jeunes curateurs et amateurs d’art de secouer les relations de pouvoir existantes dans le monde de l'art, et de promouvoir de jeunes talents — en particulier les artistes nés après 1980, parmi lesquels Giorgia Severi, Ben Elliot, Célia Gondol et Davide Mancini Zanchi.

Si Curate It Yourself n'a pas pour objectif de découvrir les Picasso et Matisse de la génération Y, l’association ambitionne l'organisation d'expositions originales — quelque chose qui a jusqu’alors été réalisé en toute indépendance. « Nous serions heureux d’obtenir le soutien d’investisseurs, et sommes aujourd’hui auto-financés ; toutes les décisions que nous prenons sont à notre crédit — ou à notre discrédit. » Partisans du self-made, les membres de Curate It Yourself cherchent à favoriser l'interdépendance entre les artistes et les curateurs : « nos expositions sont organisées autour de trois axes : les artistes avec lesquels nous choisissons de travailler, nos possibilités matérielles et nos propres idées en tant que curateurs. Nous voulons prendre part au débat actuel sur le rôle des curateurs, mais nos artistes passent toujours en premier. »



Non seulement le groupe hésite à compter uniquement sur les institutions en vue d'acquérir sa légitimité, mais ses membres sont aussi désireux de briser les barrières qui existent entre les artistes, les collectionneurs et galeristes en se positionnant comme un médiateur actif entre ces entités : « Nous voulions offrir une alternative à la figure du curateur-démiurge : pour nous, un curateur est quelqu'un qui interagit avec les différentes personnalités du monde de l'art, créant une relation harmonieuse avec les artistes et partageant leurs valeurs ». Pietro explique ainsi : « chaque année nous choisissons les artistes avec lesquels nous voulons travailler l'année suivante. Nous ne voulons pas être associés à une galerie particulière et notre relation avec les artistes est basée sur une relation humaine et une confiance mutuelle : nos choix ne sont pas fait en fonction de leur valeur marchande. »

À bien des égards, Curate It Yourself propose des expériences enrichissantes et des défis aussi bien aux curateurs qu'aux artistes. Le « triumvirat » de curateurs, composé de Della Giustina, Claudia Buizza et Jacques Heinrich Toussaint, vise à challenger les artistes en les encourageant à quitter leur zone de confort. C'était le cas avec « Contrat clé en main », un projet présenté par le groupe en début d'année à Poppositions - Bruxelles, « où l'on a demandé aux artistes de travailler dans des délais serrés et avec des médiums — vidéo, montage photo, texte —, qui ne font pas nécessairement partie de leur processus créatif habituel. Avec ce projet, le groupe a également voulu « se pencher sur les aspects négatifs du marché de l'art, que nous croyons liés, dans une certaine mesure, à certains collectionneurs — en particulier ceux qui ont le pouvoir d'influencer les institutions et la carrière des artistes. »

Basé sur le thème des « mauvais côtés », aussi bien du marché de l’art, que de la vie en générale, le projet bruxellois n’offrait pas uniquement aux artistes une nouvelle manière d’aborder leur pratique, mais encourageait aussi à réfléchir sur le rôle du collectionneur. Les 127 pièces proposées, — toutes au format digital et en vente sur des clés USB —, n’étaient vendues aux visiteurs qu’à la seule condition de répondre à « l’action », avec une « ré-action », pouvant prendre la forme d’un mail, d’une vidéo, d’une photo, ou simplement d’un message. Le dialogue entre artistes et collectionneurs, à travers la médiation du groupe de curateurs, constitue donc la réelle œuvre d’art, donnant une nouvelle dimension à la pièce initiale, et créant un dialogue entre l’artiste et l’acheteur.

« Nous voulions mettre artistes et collectionneurs au même niveau, et explorer la relation existant entre artistes, collectionneurs, et curateurs. » De la même manière, en 2015, « The Making of an Exhibition » — presque une exposition d’une exposition, visait à « révéler le processus amenant au produit final, nous nous étions penché sur le lien entre artistes, curateurs et galeries. »

L’association organise actuellement « The Garden Series », un projet qui vise une nouvelle fois à « se démarquer » des initiatives « traditionnelles » proposées par le monde artistique parisien. Décrite comme un format « entre-deux », la série d'expositions organisée en proche banlieue parisienne permet aux curateurs de travailler pour la première fois sur des projets solo. « The Garden Series » a débuté le 18 Juin avec l'artiste Anna Tomaszewski, un projet qui « a transformé l’idée de ce qu'est un espace d’exposition. »  En France et à l'international, Curate It Yourself voit grand...



The Garden Series - Anna Tomaszewski