Au FRAC et au LAAC, en avant la musique !

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Deux expositions autour de la musique en art et du son sont données à voir au FRAC Nord-Pas de Calais et au LAAC de Dunkerque. Tandis que le FRAC s’intéresse davantage aux artistes réfléchissant à la problématique du son et de son expérimentation, le LAAC propose une sorte d’historiographie de la représentation de la musique dans les arts depuis la fin du XIXe. Gros plan sur deux expositions aux réflexions complexes.

« Le son entre » au FRAC

 

Les commissaires Pascale Cassagnau et Keren Detton ont réfléchi à la façon dont les artistes contemporains s’intéressent au son, à sa représentation, puisant les œuvres de l’exposition dans les collections du FRAC Nord-Pas de Calais.

 

Sâadane Afif, Tout (1998), installation sonore

Collection du Centre national des arts plastiques, acquisition 1999. Crédit Sylvain Crépin / Frac Nord-Pas de Calais  

 

L’œuvre pilier (et pionnière) autour de laquelle s’articule l’exposition est sans doute le livre de John Cage, Diary : How to improve the world (you will only make matters worse) [ Journal : comment améliorer le monde (vous ne pourrez qu’empirer les choses) ], datant de 1968. John Cage, compositeur révolutionnaire par son emploi de la méthode aléatoire dans la composition musicale, applique dans ce livre-œuvre sa méthode d’indétermination. Typographie, couleurs, phrases sont placées de façon aléatoire dans l’ouvrage que Cage décrit comme « une mosaïque d’idées, de citations, de mots et d’histoires ». En 1991, John Cage réalisera à partir du Diary un enregistrement sonore de plus de 6 heures.

 

John Cage, Diary : How to Improve the World (You Will Only Make Matters Worse), 1968. 

Collection Frac Nord-Pas de Calais, acquisition 1989. Crédit Sylvain Crépin / Frac Nord-Pas de Calais 

 

A travers le combat de Lucie Dolène (voix française de Blanche Neige), pour récupérer sa voix contre les studios Disney, Pierre Huyghe se sert de sa vidéo Blanche-Neige Lucie (1997) pour révéler à nos yeux le danger de l’interpénétration trop étroite entre fiction et réalité. Lucie Dolène devenue Blanche-Neige se retrouvait « sans voix ». Autre œuvre qui brouille les pistes avec une « fiction onirique », Somniloquie (2002) de Laurent Montaron. L’artiste y révèle les soupirs et marmonnements inconscients de dormeurs. Une photographie grand format représentant une jeune femme dormant tandis que son compagnon écoute de la musique au casque. Une installation sonore composée de disques vinyles diffuse les bruits du sommeil de la jeune femme et les essais sonores du jeune homme. Le titre s’entend comme un jeu de mot entre somnambulisme et soliloque.

 

Laurent Montaron, Somniloquie (2002)

Crédit Laurent Montaron. Courtesy Galerie Schleicher + Lange. Collection Frac Nord-Pas de Calais. 

 

Si on parle de son, on parle aussi de silence. C’est la réflexion que propose l’artiste américain Joseph Grigely (né en 1956). Sourd depuis l’âge de 11 ans, Grigely revient sur la difficulté de communication quand un sens vous manque. Kitchen Conversation présente donc une table de cuisine jonchée de vaisselles et d’aliments partagés entre plusieurs personnes. Des petits bouts de papiers griffonnés et noircis de questions, d’échanges ont été glissés entre les assiettes et les tasses. Mais ceux-ci n’ont pas eu de réponses.

 

 Joseph Grigely, Kitchen Conversation, (1996)

Collection Frac Nord-Pas de Calais. © Joseph Grigely 

 

Enfin, la musique, le son étant des abstractions pures (on ne peut pas « fixer » ni décrire ces bruits autrement que par des émotions) sont ici aussi invoqués pour le travail de mémoire, pour garder trace d’un souvenir. C’est ce sur quoi a travaillé la Portugaise Ângela Ferreira (née en 1958). Photographies et vidéo Sons de la mine (Douchy-les-Mines et Lumumbashi) sont là pour confronter les souvenirs de l’univers minier. Le monde minier et toute sa symbolique de peur et de dureté revit grâce aux photographies représentant les instruments de musique de l’Harmonie municipale de Douchy-les-Mines tandis qu’une bande-son mixe les chants des mineurs de Douchy et ceux de Lubumbashi au Congo.

 

Ângela Ferreira, Photographie (détail), 2016

Production CRP / © Ângela Ferreira. Collection Frac Nord-Pas de Calais 

 

Au LAAC, un parcours historiographique

 

Organisée par le compositeur et musicologue Jean-Yves Bosseur, l’exposition « Musique à voir » au LAAC se veut didactique et scientifique et la visite guidée par le curateur est passionnante.

Dès le XIXe, des artistes se sont essayés à la représentation de la musique en peinture ou sculpture. Artiste tchèque venu à Paris en 1896 et proche de la société théosophique de Madame Blavatsky, František Kupka (1871-1957) concentre ses recherches sur la lumière et les couleurs comme vérités mystico-musicales. Plus tard, en 1932, le peintre Henry Valensi fonde le Musicalisme et prône « la musicalisation des arts ». Vient ensuite Auguste Herbin (1882-1960), représentant de l’abstraction géométrique et auteur de nombreuses oeuvres ayant pour thème la représentation plastique des notes de musique. L’alphabet plastique d’Herbin est simple : il attribue une note musicale, une lettre à chaque forme, chaque couleur dans un but universaliste.  

Répartie en différentes sections (Synesthésie & correspondances culturelles, Rythme entre temps et espace, Signes et notations et Interaction), « Musique à voir » présente un panorama de tentatives plastiques et réflexives liant musique, son et œuvre d’art.

Ainsi, le LAAC met en avant la différence entre le son et la musique. Le son est, comme « une sensation auditive engendrée par une onde acoustique », soit le « symptôme d’un phénomène, le résultat d’une perception ». Les œuvres de l’artiste cybernétique Peter Vogel sont à ce titre les plus significatives; des espèces de tours bricolées de fils, de composants électroniques et de capteurs photosensibles qui ne s’animent que si l’on interagit avec elles soit par le toucher soit par le son.

 

 

« Le son entre », FRAC Nord-Pas de Calais, jusqu’au 31 décembre 2017

« Musique à voir », LAAC de Dunkerque, jusqu’au 17 septembre 2017

 

Crédits : Fonds régional d'art contemporain du Nord-Pas de Calais, 2016, Dunkerque © Ville de Dunkerque