Le Liban investit Venise sous les auspices de Šamaš

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Cette année verra la 3ème participation du Liban à la Biennale de Venise. Doté d’un pavillon national seulement depuis 2007, le Liban se fait discret sur la scène artistique alors que nombre de ses artistes sont aujourd’hui reconnus par leurs pairs. En 2007, le pavillon libanais de Venise accueillait une exposition collective, « Foreword », réunissant Fouad Elkoury, Lamia Joreige, Walid Sadek, Mounira Al Sohl et Akram Zaatari.

En 2013, le vidéaste Akram Zataari proposait Letter To A Refusing Pilot (en 1982 pendant l’invasion du Liban, un pilote israélien a refusé de bombarder une école qui s'avérait être celle de Zaatari), une réflexion sur le libre arbitre de l’homme confronté à son éthique personnelle. Les travaux de recherches de l’artiste avaient été rendus possible grâce à la collaboration avec un cinéaste et activiste israélien Avi Mograbi. 

Pour la 3ème participation à la Biennale, c'est cette année, c’est un musicien, Zad Moultaka qui a été choisi pour investir l’Arsenale Nuovissimo avec l’ambitieux projet šamaš  soutenu par le commissaire Emmanuel Daydé. Šamaš propose une réflexion sur le sacré dans notre société. Šamaš ou Shamash (prononcé chams en arabe) est le dieu soleil des civilisations mésopotamiennes. Berceau de l’humanité, lieu d’apparition de l’écriture, la région du Tigre et de l’Euphrate se trouve dans l’actuel Irak. Zad Moultaka veut recréer les grottes de Jeïta à travers une installation multimédia: « En souvenir de mes premières descentes dans le cœur de la grotte de Jeita, j’ai voulu retourner dans le ventre de la terre, afin d’en extirper la sagesse perdue. Car je sais que l’énergie restée intacte dans les profondeurs de ces pierres est prête à ressurgir, avec une mystérieuse puissance de cadences et de cascades. Sous les dieux du ciel bombardé de Syrie, on peut encore entrevoir l’émergence des premiers codes de lois babyloniens tout comme l’érection des temples géants de Baalbek ».

 

Šamaš, Tese, Pavillon Liban, Venise ©Atelier Zad Moultaka, Association Sacrum


 

Le Liban aujourd’hui

On connaît peu de choses finalement du Liban, petit pays enclavé entre la Syrie et Israël. Pourtant, la guerre n’est pas finie au Liban. Le pays continue d’être secoué par des troubles récurrents : crise des poubelles, vagues d’attentats et d’assassinats, auto-prorogation du parlement, vacance de la présidence de la république, budget non voté depuis 15 ans.... Malgré tout cela, la scène artistique est bien vive et dynamique.

Randa Sadaka, auteur, biographe et journaliste est à la tête de la revue Pictoram, fondée en 2014 sous l’égide de la fondation RAM créée par Robert Matta, fils des mécènes Alfred et Nadia Matta. La publication annuelle de la revue s’accompagne de l’émission 5 de Pic, diffusée sur Télé Liban qui fait découvrir en 5 minutes l’œuvre d’un artiste libanais, animée par Randa Sadaka elle-même.

 

Randa Sadaka 

 

Pour Randa Sadaka, les artistes libanais sont à part dans le monde artistique. Ils n’ont rien mais tentent tout : « La situation politique libanaise est essentielle à la compréhension de la scène artistique. Je reprends ce que beaucoup d’artistes disent pour comprendre le fil conducteur de leur action, la guerre n’est pas finie au Liban. Tous les artistes s’accordent à dire que c’est quand même une période de guerre dans laquelle nous évoluons et c’est pour cela qu’ils témoignent de cette réalité. Il est difficile pour ces artistes de créer sans cette réalité. C’est ce qui fait je crois la spécificité du Liban. Une urgence, un besoin, un désir de dire les choses telles qu’elles sont, de témoigner et de marquer son temps. Sans les moyens dont dispose Dubaï, la scène artistique libanaise dépend presque entièrement du système privé, de fondations. Grâce à ces mécènes, la scène est très dynamique. Nous avons la chance d’avoir un début de dessein politique. Notre précédent ministre de la culture Raymond Araiji qui a eu un mandat de près de 3 ans a été très actif et impliqué dans la scène culturelle et artistique. Il a fait un musée virtuel, 1.800 oeuvres d’artistes modernes et contemporains mais il n’y a pas d’argent pour édifier un musée. Il a donc fait un musée national en ligne auquel tout le monde a accès ».

 Des grands projets ont été conçus et sont en train de l’être : ouverture en 2015 de la Fondation Aïshti (Tony et Elham Salamé) au sein d’un centre commercial de Beyrouth et à l’horizon 2020, l’ouverture du musée privé de la fondation Mario Saradar

Quant aux galeries, certaines sont installées et réputées pour la qualité de leurs artistes. C’est la cas de la galerie Tanit davantage spécialisée dans la photo ; la galerie Jeanine Rubeiz, du nom de la fondatrice de Dar El Fan, espace artistique ouvert entre 1967 et 1975. Sa fille, Nadine Begdache a choisi d’ouvrir la galerie en hommage à sa mère. La galerie Agial & Saleh Barakat se divise entre le white cube contemporain et l’espace d’exposition plus traditionnel.

 

 

Šamaš, Lamentation sur la ville d'Ur - Pavillon Liban Venise ©Atelier Zad Moultaka-Association Sacrum / Revue Pictoram

 

Depuis 2010, se tient en septembre la Beirut Art Fair, qui permet au Liban d’avoir sa foire d’art contemporain axée Menasa (Middle East, North Africa, South & South East Asia). Il faut aussi parler d’Ashkal Alwan, l’association libanaise des arts plastiques fondée en 1994 par des personnalités du monde de l’art (citons notamment Christine Tohmé, actuelle curatrice de la Biennale de Sharjah et l’artiste Marwan Rechmaoui) qui offre des résidences d’artistes, des expositions et un programme culturel.  En 1997, Akram Zaatari et les photographes Fouad Elkoury, Walid Raad et Samer Mohdad fondent l’Arab Image Foundation qui collecte, rassemble et conserve les photographies du monde arabe et de sa diaspora. A ce jour, plus de 600.000 documents photographiques sont conservés.

Randa Sadaka de conclure : « Il y a une volonté politique quand c’est un ministre qui est en place et qui soutient. Sur le long terme, c’est la loi de la jungle. C’est un capitalisme sauvage parce qu’il y a beaucoup d’argent en jeu. Il n’y a pas de structures ni de rassemblement. Chaque fondation agit un peu à sa guise. Depuis peu, nous voyons au Liban le retour des gens du Golfe. Cela faisait 3 ans que ce n’était pas arrivé, c'est grâce à la tournée du Président de la République au Moyen-Orient. On espère se rendre compte de l’importance de l’art ».



Emmanuel Daydié & Zad Moultaka - Pavillon du Liban Biennale de Venise 2017 © Association Sacrum - photo lenavilla

 

 

Pavillon du Liban, Biennale de Venise, 13 mai-26 novembre 2017

Beirut Art Fair, 21-24 septembre 2017

Les Journées du Liban, Espace des Blancs-Manteaux, 12-14 mai 2017. La revue Pictoram y sera présentée.