Condo | À Londres, un nouveau modèle émerge face à l'emprise des foires

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Condo, c'est une histoire de collaboration, de mise en commun des ressources, visant à bousculer un peu les conventions existantes dans le monde de l'art contemporain. A travers Londres, du South East au Central North West de la ville, 36 galeries exposent dans 15 espaces.

Loin de ce qui se fait aujourd'hui dans le marché de l'art moderne et contemporain, Condo offre un cadre économique alternatif où chaque galerie verse un petit montant de 600 £ pour couvrir les coûts de base (techniciens, site web, cartes) — tout en conservant l'intégralité des bénéfices liés à ses ventes. Les « galeries d'accueil » partagent leurs espaces pendant un mois, en prenant soin d'installer et de superviser les travaux en collaboration avec les artistes et leurs galeries. « Cela permet de soutenir les jeunes galeries » explique William Jarvis de la Sunday Painter Gallery, « cela génère un enthousiasme généralement réservé aux foires d'art, mais à un coût bien plus raisonnable ».

Ce cadre novateur devient de plus en plus nécessaire lorsque le marché de l'art conventionnel érige des barrières financières qui excluent et marginalisent les artistes émergents. Pour exposer à la Frieze ou à l'Armory, les galeries représentant des artistes émergents sont en effet forcées de payer de 10.000 à 80.000 £, avec des œuvres qui coûtent environ 1/5 de cette somme — le calcul est vite fait, cela n'est pas viable.

 

Wojciech Bąkowski @ The Sunday Painter

 

Au-delà de la dimension financière, Condo construit un sentiment de communauté à travers différents quartiers londoniens parmi les plus dynamiques. A une période où il est plus difficile de faire déplacer les gens physiquement que simplement grâce à l'écran d'un Iphone, Condo se déplace à travers la ville. En suivant la foule d'une galerie à l'autre, les visiteurs sont entraînés dans un mouvement rhizomatique.

Condo c'est l'alliance du local et du global — une manifestation très liée à son environnement londonien, à ses différents quartiers —, avec des galeries et artistes du monde entier. Réunissant ainsi des œuvres en provenance de Zurich, de Shanghai, d'Oslo ou Guatemala City, « Condo offre l'opportunité de découvrir un échantillon de qualité d'artistes émergents ou un peu plus établis, du monde entier, dans le cadre d'une seule ville » se réjouit Jarvis.

Alors que les foires créent souvent une frontière entre les œuvres, les compartimentant, la majorité des galeries présentes à Condo adoptent une démarche curatoriale propice à la naissance d'un dialogue collaboratif.

 

Aux côtés des œuvres d'Emma Hart, installées sur les murs de la galerie The Sunday Painter, la galerie Jaqueline Martins de São Paulo expose Adriano Amaral et Daniel de Paula. La Seventeen gallery de New York présente quant à elle des œuvres de Justin Fitzpatrick, la Stereo gallery de Varsovie des pièces de Wojciech Bąkowski, dont la musique au rythme lent offre une ambiance singulière à l'ensemble.

Peu après l'ouverture, Chez The Sunday Painter, Daniel de Paula était à genoux, en train de coller au mur les derniers éléments du lettrage plastique ; cette scène illustre parfaitement l'informalité qui est au cœur du concept de Condo.

Une fois achevée, l'œuvre de Daniel de Paula, Networks of Power se propose d'imaginer les effets économiques d'une coupure électrique globale survenant le 07/02/17. L'événement est analysé dans le contexte de notre dépendance aux mécanismes industriels de production, à notre besoin insatiable de consommation, et au désastre politique provoqué par la sortie de l'Angleterre de l'UE.

Au milieu de l'installation de Daniel de Paula, sont exposées les pièces en céramique d'Emma Hart. L'artiste, manipulant l'argile d'une manière corporelle, présente ici Bad Form, une œuvre qui voit des morceaux de chair humaine et des poils envahir des morceaux de papier flottant. Le corps apparaît alors comme un organisme fragmenté, démembré par les modes d'existence contemporains.

La critique féroce du moderne se poursuit dans les tableaux de Justin Fitzpatrick où la nature apparaît colonisée par le consumérisme. Derrière son image de cygne se cache une bouteille d'Evian, tandis que dans les autoportraits de Wojciech Bąkowski, un paysage fait de formes géométriques illustre l'impact de la vie virtuelle qui est celle du XXe siècle, et son impact sur notre santé mentale.

Un processus curatorial similaire est employé par Arcadia Missa où le travail d'Emma Talbot est confronté au cadre dialectique créé par les pièces apportées par la galerie Oslo VI, VII sous l'arc du chemin de fer qui abrite la galerie.

Le centre de l'espace est ainsi dominé par la grande structure de soie d'Emma Talbot, remplies de mystérieuses images surnaturelles de vie de famille. Le sang et le feu étant associés à un utérus et un cerveau rempli de rêves et de fantasmes.

Dans cet espace d'exposition réduit, sont également présentées les lampes en céramique de Than Hussain Clark, leurs tons terreux et leurs courbes modernistes offrent une association de deux idées du luxe. Dans cet espace restreint, une « toile holographique » d'Eloise Hawser côtoie le travail de Brad Grievson, dont les œuvres associant peinture à l'huile et bandes adhésives noires provoquent une ambiance — inquiétante —  d'isolement et d'enterrement.

Associant la théâtralité des lampes de Than Hussein Clark avec les « structures modulables » d'Emma Talbot, l'espace d'Arcadia Missa est quelque peu encombré. Corps, œuvres d'art et morceaux de peau sont réunis dans une étreinte, loin du perfectionnisme clinique de la foire d'art.

 

Emma Talbot @ Arcadia Missa — photo via Instagram @pierrebeucler

 

En proposant un espace qui encourage l'expérimentation artistique Condo conteste l'idée selon laquelle les artistes doivent se plier aux volontés des grandes institutions commerciales pour survivre. Pour cette génération confrontée à l'endettement, à la baisse du financement public de l'art, ou à la flambée des loyers à Londres, Condo représente ce qui peut être le seul modèle viable à long terme pour des galeries et artistes du middle market.

 
Condo est à découvrir jusqu'au 11 février 2017.
 
 

photo : Emma Hart @ The Sunday Painter Gallery